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Le sentiment d’abandon

Le sentiment d’abandon est une souffrance psychique invasive particulièrement ravivée à chaque séparation ou  période de solitude.

Les manifestations

Il se caractérise par une grande difficulté à vivre les pertes, les ruptures. Les deuils sont longs et laborieux. La peur de la solitude rend le sujet avide de sorties, de relations, de contacts, d’activités. La perspective d’une soirée libre est angoissante. Aussitôt seul, la sensation de vide apparaît. Un intense besoin fusionnel prive le sujet de son autonomie affective. Toute perte  réactive la peur d’être abandonné.

La plupart du temps, la personne souffrant d’un sentiment d’abandon connaît une grande insécurité affective, avec un manque de confiance en ses valeurs personnelles, et donc une recherche de validation par l’extérieur, un besoin d’être rassuré en permanence. Ces besoins insatiables étant la plupart du temps insatisfaits, la frustration entraine de l’agressivité, souvent tournée vers soi-même, et une instabilité d’humeur.

Les relations à l’autre sont troublées, le moindre retrait dans l’échange apparaît aussitôt comme tragique.  La dépendance affective entraine de fortes anxiétés et une profonde dévalorisation, parfois une soumission à l’autre. La peur de la trahison dicte les comportements, et s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice ainsi que de culpabilité.

La fuite ou le repli sur soi peuvent être des réponses en cas d’incapacité à surmonter la souffrance liée à cette insécurité.

Les causes

Chacun d’entre nous possède, enracinée, son histoire avec l’abandon. En effet, apparaissant dans la période originaire de l’évolution psychoaffective, elle est une des premières peurs à vivre. Notre dépendance de naissance nous porte à vivre intensément la crainte d’être abandonné qui est alors une question de survie pure et simple. Au démarrage de sa vie, l’être humain est totalement démuni, dépendant de son entourage pour sa survie, aussi bien physique que psychique.

Un entourage affectif stable et harmonieux compensera la peur de l’insécurité de base.  Mais si des perturbations, des incohérences troublent les conditions affectives et matérielles qui l’entourent, le petit humain ne se sentira pas sécurisé ni protégé. Les répercussions sur son psychisme, son niveau de stress, activeront sa peur d’être rejeté, d’être mal aimé. Et plus tard, sa peur de l’abandon, non suffisamment étayée, contenue, restera fixée, prête à se réveiller en cas de tensions dues aux aléas affectifs de la vie. Il en conservera un besoin illimité d’amour et de présence, pour tenter de reconquérir un territoire de sécurité dont il a manqué.

Pour découvrir les sources, il est donc souhaitable d’aller visiter les blessures affectives anciennes. Elles ne sont guère accessibles directement à la mémoire, et c’est par un travail d’approche, fondé sur l’étude des rêves, des contenus affectifs actuels et des réminiscences d’affects passés que la mémoire émotionnelle se reconstitue.

Certains sujets ont ainsi du mal à admettre avoir souffert d’un sentiment d’abandon, n’ayant pas été à proprement parler ‘abandonnés’.

Or, le sentiment d’abandon peut naitre de situations clairement identifiables, telles que la disparition ou l’absence d’un parent, un manque d’attention dû à l’indisponibilité d’un ou des parents (autre enfant réclamant toute l’attention, activité professionnelle envahissante, maladie ou dépression, etc..), ou au contraire une surprésence et surprotection affective, qui produisent les mêmes effets que le manque.

Mais aussi, dans certains cas, les causes sont moins évidentes. Parfois, les apparences sont parfaites. Pourtant le manque affectif est criant. Une sorte d’indifférence, de désinvestissement du parent peut avoir des effets fortement délétères.

L’imaginaire de l’abandon

L’abandon, la solitude sont des expériences archaïques, ancestrales. L’abandon est présent dans l’imaginaire, dans l’inconscient collectif. Il hante les cauchemars, les contes pour enfants, les histoires fantastiques. Un grand nombre d’œuvres cinématographiques ou de littérature évoquent  l’orphelin, l’incompris, le mal-aimé,  l’exclu, le solitaire rejeté, qui souffre, transcende sa condition pour devenir un héros et auquel chacun s’identifie.

Le thème de l’abandon est universel. Effectivement, certains parents choisissent, lors de l’arrivée au monde de l’enfant qu’ils portaient en eux, de ne pas le garder auprès d’eux, et de le laisser aux mains d’institutions, chargées de le confier afin d’être élevé par d’autres parents. Ce choix existe. Chacun de nous porte en lui cette possibilité. Chaque enfant , vers l’âge de 6 ou 7 ans, s’imagine être un enfant abandonné et recueilli, issu d’autres géniteurs,  ses « vrais parents » . C’est un roman familial qui peut être très présent pour certains. Les contes les plus forts pour l’enfant, sont ceux où un enfant mal-aimé, ou abandonné dépasse sa malchance et transforme en force ses déboires, en un chemin initiatique plein d’enseignement et de ressources pour l’à venir.

Les premiers objets d’amour

Dans la psyché humaine, les premiers attachements, nos objets d’amour primitifs, conditionnent les mouvements affectifs ultérieurs.  La façon dont ces attachements se sont déroulés est au cœur de la problématique de l’abandon.

D’après les travaux de Mélanie Klein (*), les tout premiers processus d’intériorisation et de projection du nourrisson sont à l’origine du sentiment de solitude.  Si ces premières relations objectales se déroulent de façon satisfaisante, l’enfant va réaliser ce que l’on appelle une ‘introjection du bon objet’ suffisamment solide pour asseoir petit à petit son sentiment de sécurité.  Quand les frustrations sont trop intenses, ou les satisfactions aléatoires, l’extérieur sera alors perçu trop souvent comme ‘mauvais objet’, source d’idées de persécution et de pulsions destructives à son égard.  Et ce mauvais objet, également intériorisé, deviendra source de mauvaise estime de soi et d’autoagressivité.

Aucun besoin ne pouvant être satisfait à 100 % et de façon pérenne, ce mouvement entre le bon et le mauvais objet est à l’origine des processus identificatoires successifs dont les différentes composantes vont s’intégrer progressivement pour permettre une stabilité affective et une bonne estime de soi.

‘le monde intérieur consiste en objets intériorisés  sous des aspects divers et dans des situations affectives différentes.’ Les rapports de ces objets internes entre eux peuvent être ressentis comme ‘hostiles et dangereux’, ou comme ‘bons et aimants’, selon les ‘tendances, émotions et fantasmes’ de l’enfant lui-même,  et aussi bien sûr, selon les ‘expériences, bonnes ou mauvaises provenant de l’extérieur’. (Mélanie Klein, A propos de l’identification)

Le Moi est dans un premier temps soumis à ces échanges chaotiques et violents, puis s’organise, c’est-à-dire intègre bon et mauvais objet, pulsion de vie et pulsion de mort, pulsions destructives et pulsions d’amour de façon à ce que le ‘bon objet’ ne soit pas menacé par le ‘mauvais objet’.

Or, cette organisation n’est jamais parfaite et laisse place à ‘l’angoisse que les sentiments destructeurs ne submergent les sentiments d’amour et que le bon objet ne soit menacé’.

Si le bon objet n’est pas solidement ancré, grâce notamment à l’action d’un entourage fiable, la sécurité acquise sera menacée, dans le cas de tensions externes vécues tout au long de la vie, entrainant un sentiment de solitude.

Le sentiment d’être compris par l’extérieur ou au contraire de ne jamais l’être est issu du déroulé de ces premiers échanges.  L’impression d’être bon ou mauvais, à l’intérieur, également. Ainsi, certains ont le sentiment, sans aucune réalité objective, d’être une ‘mauvaise personne’. Comme si un mauvais objet’ était, de fait, intériorisé. La méfiance vis-à-vis de l’autre et la difficulté à faire confiance découlent du même ‘mauvais objet’ projeté à l’extérieur.

L’évolution personnelle

Désirs et peurs émaillent chaque étape de la vie.

Franchir une étape d’évolution nécessite de dépasser des peurs, de lâcher la protection pour oser, pour franchir le passage, pour s’émanciper vers un niveau d’autonomie plus grand. L’évolution psychique, affective, physique, intellectuelle, pousse vers une autonomie de plus en plus importante.

On abandonne donc, à chaque poussée d’évolution, le confort précédent  qu’on avait conquis, qui nous rassurait. Le désir de vivre, de voler plus loin  nous appelle !

Mais ce désir peut être freiné par des peurs invalidantes. La peur de l’abandon en est une.

La peur de l’abandon nait du refus d’accepter la séparation, vécue comme une trahison, un rejet, et non comme un processus normal d’émancipation. Le sujet lutte contre l’acceptation, se resserre sur son refus .

En conclusion

La séparation est nécessaire et le sentiment d’abandon doit être traversé pour évoluer. Les évènements douloureux ayant engendré cette compulsion à se sentir abandonné doivent être revus, pour être pensés, symbolisés, intégrés. De façon à ne plus se sentir victime d’une situation subie, mais au contraire acteur d’une évolution à faire advenir.

 

(*) Mélanie Klein psychanalyste (1882-1960) : Envie et gratitude – et autres essais