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Le temps du confinement

C’est un temps bien particulier que nous sommes amenés à vivre, collectivement, et pourtant socialement séparés les uns des autres. Un temps qui offre des possibilités de réflexion, qui ouvre des perspectives de pensée nouvelles.

Nous avons connu, tout d’abord, une secousse,  due à l’arrêt brutal de toute activité extérieure. Le mouvement interrompu en plein élan provoquant un ébranlement psychique nous a un peu sonnés. Une déstabilisation a suivi.

Cette perte d’équilibre fut notre première épreuve.

Puis est venue la sidération, après la secousse. Nous avons compris que réellement, nous allions devoir nous organiser à l’intérieur de nos habitations, mesurant ce à quoi nous allions devoir renoncer. Cela s’amplifiait de jour en jour, des projets, des sorties, des voyages, des évènements que nous nous apprêtions à vivre, tout à coup, n’allaient pas se tenir. Des reports, avons-nous pensé dans un premier temps. Puis les jours et semaines passant, nous avons compris que ce seraient purement et simplement des annulations. Ces évènements n’auraient pas lieu. Ou dans un lointain non mesurable.

Ce fut la deuxième épreuve de perte, le temps de la frustration.

Nous avons alors organisé notre travail, nos vies personnelles, avec les outils de communication à distance, expérimentant visioconférences, plateformes de partage, et le bon vieux téléphone, bien sûr, représentant du monde ancien, valeur sûre et pérenne.

Ainsi, c’est l’apprentissage du relationnel sans contact physique. Nous apprenons à nous conduire ensemble, à prendre des décisions, à nous réunir, à nous parler, à nous regarder, par écran, sans la perception du corps de l’autre, sans les subtiles réactions, les émotions vibrantes sur les épidermes, les mouvements infimes, sans cette ouverture inconsciente au corps de l’autre.

Nous avons même appris à nous méfier de l’autre : dans la rue, au cours des courtes sorties, les passants ne se croisent plus, changent de trottoir, s’observant d’un air méfiant, regard en dessous, craignant cet autre, potentiel vecteur de maladie ; vision toute paranoïaque du monde.

Le contact corporel ou oral (les gouttelettes porteuses dont il faut se protéger par masques, écrans etc.) est interdit. Le contact, source de stress. Nos peaux, le toucher, mis en cause.

Perte de la dimension corporelle du contact, donc.

Le mouvement à l’extérieur est très limité, tout déplacement doit être accompagné d’un justificatif, de case à cocher, quelques raisons sont seules autorisées.

Ainsi nous avons perdu notre autonomie, notre liberté d’aller et venir, enfants au stade de latence, dans une dépendance extrême, soumis à un Surmoi menaçant, relayé par les figures de l’autorité que sont les gouvernants et les scientifiques.

Durant ce temps, notre comptabilité quotidienne : nombre de morts, d’hospitalisés, de contaminés, dû au Covid-19  pour chaque pays et dans le monde, schéma, courbes, graphiques, pour tenter de rationaliser, de comprendre, de maitriser ? nous apporte un flux ininterrompu de macabres nouvelles véhiculant de l’angoisse. Nous évaluons la menace que la maladie fait courir à tous, surtout à ceux de santé fragile. Une division s’établit morbide. Un certain écart s’opère, on espère l’immunité. Rien pourtant ne nous la garantit.

Nous sommes pris entre deux feux: se retrouver ensemble pour augmenter l’immunité globale, mais avec le risque de maladie et de mort. La protection parfaite n’existe pas. La menace court, enfle.

La dimension de notre mortalité nous apparait clairement. S’opère un rapprochement de la possibilité de notre mort. Même si nous aimerions continuer à la maintenir à distance.

La prise de conscience de notre fragilité nous imprègne sourdement.

La  menace virale actualise des questions difficiles qui préoccupent ou devraient préoccuper l’ensemble de la communauté humaine : les effets de la mondialisation, les rapports entre les espèces, notre respect ou irrespect de la nature, notre potentiel biologique d’immunité, les liens humains, nos mouvements sur la planète, nos modes de vie… la vie mondiale est à interroger.

Perte de notre sentiment de toute-puissance ?

Privés de …nous sommes confrontés au manque de contact, à la perte du mouvement, à la possibilité de la disparition, à l’arrêt de la course sans fin pour l’avoir, le confort, l’argent.

Et si cette perte ouvrait un espace ?

 L’acceptation de la perte enclenche un travail de deuil : un processus de désinvestissement des anciens objets s’accompagne d’un réinvestissement de substituts. Nous nous sommes détachés de certains centres d’intérêt, d’autres ont pris la place.

La situation nous conduit à prendre conscience du lien entre les êtres vivants. Entre le biologique et le social. Le monde n’est pas cloisonné, il fonctionne par résonance. Chacun est concerné par l’état de tous les autres.  La situation nous conduit à penser autrement le rapport à l’autre individuel et aussi au groupe, à la communauté, à la foule. L’inconscient collectif se nourrit.

L’espace intérieur est réinvesti. L’intériorité prend une plus grande place. C’est un temps pour le travail des inconscients personnels favorisé par cette phase de régression à l’intérieur de soi-même.

Pour certains, cette mise à distance physique et émotionnelle de l’extérieur est bénéfique, on laisse dehors les tensions, le relationnel négatif n’est plus à gérer.

Il y a place alors pour le plaisir de sentir la dimension intime de son psychisme, et le constat agréable que l’on s’entend bien avec soi-même.

Cependant, pour d’autres, cette période est vécue dans les tourments : sentiment de solitude, anxiétés, peur de sortir, l’extérieur trop menaçant. Et aussi crainte de la dépression, quand le social fait défaut, quand se retrouver avec soi est douloureux, engendre l’angoisse du vide.

Pour tous, c’est une oscillation de l’état psychique soumis aux fluctuations émotionnelles, au gré des contacts avec l’extérieur, de la montée ou descente du sentiment d’angoisse face à l’avenir.

Pour gérer ce temps, les outils de communication à distance, déjà bien intégrés dans nos vies,  s’avèrent dans cette circonstance particulièrement aidants. Leur utilisation devient créative, chacun expérimente les possibilités de continuer les activités en contact, le travail ou les loisirs, l’amitié. La technologie est au service de l’être. L’humain intègre, fait sien, adapte l’outil à ses besoins fondamentaux ; l’humain humanise la technologie.

L’être humain fonctionne dans l’altérité. L’individu se construit au sein du  social. ‘…toute créature humaine, née de l’autre, fondée sur l’autre, instruite par l’autre, ne fonctionne.. qu’au gré et au hasard d’une altérité irréductible.’ (Pascal Quignard, Les ombres errantes)

Ce temps dit de confinement nous conduit précisément à penser le rapport à l’extérieur. A penser nos manques, nos désirs,  à imaginer notre retour dans le monde sensoriel et collectif  parmi les membres  de la communauté humaine.  Le ‘nous’ structurant notre moi.

Le retrait social  nous a , semble-t-il, conduit à imaginer toutes les stratégies possibles pour demeurer en interaction, vivants parmi les autres, avides de conversations, de paroles, d’amitiés, de partage des vécus.

Le sentiment du collectif n’a peut-être jamais été aussi présent. Il imprègne nos sphères privées comme jamais.

Que de perspectives pour la suite…

Car que sera l’après ?

Nous avons conscience que des changements sont à venir : nous savons que plus rien ne sera comme avant. Qu’est ce qui va changer ? qu’aurons-nous à vivre de différent ? Personne ne peut le prédire. Chacun peut imaginer retirer les bénéfices de cette période de retour sur soi, pour penser sa vie autrement. Avant, tout le monde s’accordait à dire que c’était la course, l’impossibilité d’échapper au temps qui file, aux tâches infinies, au bruit social, aux obligations énergivores.

Ensuite, aurons-nous envie de plus de silence, de retrait, de réflexion sur le sens de la vie ?

On peut supposer aussi que nous serons attirés par ce que nous avons dû abandonner durant ce temps, selon un besoin de compensation naturel:  boire un verre à une terrasse de café au soleil, marcher le long d’une plage, découvrir une ville du monde, goûter les plaisirs d’une fête entre amis…  ces retrouvailles avec des composantes de la  vie d’avant, nous les espérons, et nous les craignons aussi un peu: comment allons nous les vivre? quelles seront les séquelles de cette période?

En profondeur, nous serons amenés à vivre une transformation dont nous ne connaissons pas la nature. Chacun élabore son histoire personnelle du confinement. Le vécu collectif habite aussi chaque psychisme.

Les rêves, déjà, montrent que quelque chose est à l’œuvre, qui travaille en profondeur.

La procrastination

La procrastination est un sujet récurrent et qui touche beaucoup d’entre nous. Qui n’a pas eu envie de remettre à plus tard un travail difficile, de laisser de côté des tâches administratives peu avenantes, de différer le paiement de telle facture au point de dépasser le délai, d’ajourner l’occasion de parler à une personne à qui on a quelques chose de difficile à dire ? Qui n’a pas temporisé, hésité, été freiné par  une incapacité à décider, à agir ?

Qu’est ce que procrastiner ?

Chacun d’entre nous connaît ces moments où il remet à plus tard une tâche qu’il se promet de faire, un autre jour.  Quitte à ressentir, si cela se reproduit, une certaine mauvaise conscience. Le sentiment que ‘ce n’est pas bien’, qu’il ‘faut s’y mettre’, ne plus ‘laisser trainer.’ Les bonnes résolutions se mettent en place, pour rassurer un moment : ‘c’est sûr, je vais le faire demain, demain sans faute, je m’y mets’ . ‘Allez, je termine ce travail dans la semaine, promis, juré !’

Certains sont des procrastinateurs réguliers. Parfois, ils accumulent tellement de tâches non accomplies: courriers ou courriels non ouverts depuis des mois, rangement jamais réalisé, travail jamais terminé, décisions non actées, que des conséquences fâcheuses s’ensuivent, les plaçant dans des situations très délicates : impayés, désordre, sanction, stagnation, immobilisme, voire repli sur soi.

Et ces procrastinateurs finissent aussi par vivre un calvaire d’angoisses et de culpabilités. Car le surmoi s’en mêle : on n’est pas content de soi, on est encombré par l’ampleur de ce qui est à faire, ou par le désordre, on a une montagne devant soi et on n’a de moins en moins envie de la gravir.

L’idée de se mettre en mouvement peut ouvrir à de telles angoisses que l’on préfère fuir, quitte à augmenter l’accumulation, et donc la difficulté à agir!

Le cercle vicieux est en place. Une résistance s’installe, le fonctionnement s’enraye, et se répète.

Or, quand il y a un blocage,  la contrainte extérieure n’en vient pas à bout. La volonté n’y suffit pas.

Signification et hypothèses de la procrastination

Le mot procrastination vient du latin procrastinatio et signifie ajournement. Autrement dit, ‘renvoi à une date ultérieure’. Et même, plus précisément, ‘renvoi à demain’.

Procrastiner c’est différer, reporter, temporiser, ajourner, atermoyer, tergiverser. Tous ces verbes indiquent la présence d’une hésitation, d’une suspension, marquent un temps  entre maintenant et le moment d’agir.

Procrastiner, serait-ce demander un sursis ?  proposer un délai ? quémander un répit ?

La décision est prise : ‘je le ferai demain’ . c’est un soulagement, une fin en soi , une certitude. Un apaisement.

Ce report serait-il  un espace de vie, une respiration nécessaire ?  est-ce un désir d’échapper au temps, à l’horloge impérative?  est-ce un espace de liberté pour se hisser hors des contraintes, et contempler un moment le temps, sans y être soumis ? est ce un besoin de retrouver un rythme propre face à une vie organisée par l’extérieur ?

Le temps suspendu

Le procrastinateur imagine la réalisation du désir, et projette son accomplissement dans un futur proche. ‘Ce travail sera terminé demain.’ Or, parvenu à l’échéance qu’il s’était fixé, il ne démarre pas l’action envisagée, se tourne vers d’autres tâches, fait diversion, laisse le temps filer. Le désir n’est pas transformé en action.

Ainsi, le sujet ne demeure-t-il pas dans l’illusion d’être libre ? il ne s’est pas engagé, les possibilités sont ouvertes, devant lui, prêtes à être saisies.

Souvent,  des comportements addictifs ou compulsifs se mettent en place destinés au remplissage de ce temps qui n’est pas consacré à l’engagement dans l’action.

Qu’est ce que l’action ?

L’action permet d’extérioriser le désir, et de le confronter au réel. Pour agir,  une synthèse entre le désir et la réalité se constitue. Confronté au réel, le désir perd sa part d’idéalisation. Il libère aussi une part de sa charge énergétique. Psychiquement, cette libération entraine un vide, dans un premier temps, appelant un autre désir à se former. Est-ce la peur de ce moment de vide qui retient le procrastinateur d’agir ?

Pour agir, il faut choisir. La moindre action est une somme de choix, minuscules, qui en s’ajoutant, forment le mouvement d’ensemble.

Est-ce la faculté de choisir qui est en panne chez le procrastinateur ?

Ce qui est en jeu

Nos fonctionnements sont inscrits entre deux pôles complémentaires, indissociables, que sont l’activité et la passivité, le mouvement et l’immobilité; On peut y ajouter  la confrontation au réel et la fuite.

Le procrastinateur s’installe, pour une part de lui, dans  un retrait.  Sa résistance à l’action rappelle celle de l’enfant qui refuse d’obéir à une injonction, et tient fermement sa décision.  C’est une opposition très importante pour lui, très fondatrice.

Est-ce que le procrastinateur n’a pas pu exercer, enfant, son opposition ?

Est-ce que, de ce fait, il a besoin, adulte, de se protéger contre l’invasion de son espace psychique ?

La mauvaise opinion de soi

La tension entre le frein posé au désir d’agir et les injonctions ou reproches faits à soi-même entrainent un stress et une culpabilité. Cette pression exercée ne fait qu’ajouter au mal-être et durcit encore le positionnement de résistance. Le psychisme s’enferme dans la répétition.

‘La norme de notre société est fondée sur la responsabilité et l’initiative’, (Alain Ehrenberg, la fatigue d’être soi’)  La sensation d’être en décalage par rapport à ce courant dominant aboutit souvent à une démission à soi-même, une position de dépréciation de sa propre identité.

L’inhibition de l’action

Quelles sont les peurs liées à l’action ainsi remise, reléguée à un hypothétique lendemain ?

Ce peuvent être :

La peur de se confronter à ses limites, la peur de ne pas réussir, de ne pas  arriver au bout de la tâche.

Ou au contraire, la peur d’arriver au bout, de finir, de se trouver devant le mur de la finitude et son vide.

La peur de se concentrer,  de s’isoler dans une seule activité, de quitter la dépendance aux sollicitations sociales extérieures illimitées  (réseaux sociaux par exemple)

La peur de ce lendemain, celui où on aura le temps, mais que l’on remet  indéfiniment au lendemain

La peur de l’inéluctabilité du temps :la remise à plus tard dilate le temps indéfiniment, ne laisse jamais entrevoir la fin.

L’inhibition de l’action peut être aussi le signal d’une fixation à un stade de latence, où l’on ne nous demandait pas de choisir, où les responsabilités étaient moindres, où nos actions étaient encadrées par le milieu extérieur (parentale, scolaire) . La  peur autrement dit de cette extrême responsabilité et liberté de la vie adulte.

Ce peut être le désir inconscient de prolonger un âge où les actes ne portaient pas à conséquence, puisque quelqu’un d’autre accomplissait ce que nous ne faisions pas.

La difficulté à s’engager sur le long terme, sur une durée, semble assez  prégnant.

L’angoisse

Une angoisse profonde peut naitre de tels freins à l’action.

‘Mais l’angoisse était née de l’impossibilité d’agir.

Tant que mes jambes me permettent de fuir, tant que mes bras me permettent de combattre, tant que l’expérience que j’ai du monde me permet de savoir ce que je peux craindre ou désirer nulle crainte : je puis agir. ’ (Henri Laborit, éloge de la fuite)

Mais si aucune action n’est possible sur le monde, alors celui-ci apparaît comme inaccessible, et le sujet rentre en lui-même.

La perte et le sujet

La problématique du désir et de son accomplissement est au cœur de ce sujet. Le désir en s’accomplissant signe sa perte. C’est précisément ce que  permet d’éviter la compulsion à procrastiner : s’accrocher à l’objet du désir, ne pas le perdre pour ne pas se perdre.

L’enjeu est de se séparer de l’objet, ne plus faire un avec lui, de s’en détacher en acceptant  sa perte, sa destruction dans l’action. Et ne pas se sentir entrainé, en tant que sujet,  dans cette perte.

Tant que ce détachement n’est pas opéré,  l’action, en tant que perte de l’objet désir, peut être vécue comme un risque d’anéantissement du sujet lui-même.

La procrastination est-elle une pathologie ?

Le mot utilisé depuis quelques années dans les medias renvoie presque à l’idée de maladie. En termes psychanalytiques, c’est un symptôme, qui peut être léger ou invasif, associé à d’autres la plupart du temps. Le degré d’angoisse- et l’ampleur de l’empêchement à  vivre seront déterminants pour décider de s’en occuper avec un professionnel.  Il peut y avoir un état dépressif sous-jacent.

En littérature, un exemple de résistance à l’action est donné par le héros de Melville, Bartleby. Celui-ci, employé aux écritures dans une étude de juriste new-yorkaise, répond à toute demande sortant de son domaine strict, qu’est le recopiage des minutes (avant internet !) : ‘je préfèrerais ne pas’ une des traductions de ‘I would prefer not to’.  La formule est immuable, répétée de façon imperturbable par l’homme, et finit par s’étendre à toute action. Aucune agressivité, aucune animosité, ni mouvement émotionnel quelconque. Juste la phrase, jusqu’à l’immobilité totale.

En conclusion

La procrastination soulève les grandes problématiques inhérentes à notre société : problématique de la fragilité identitaire, du vide, de l’insaisissabilité du temps, de ‘l’initiative individuelle et de l’impuissance à agir’, ’la confrontation entre la notion de possibilité illimitée et celle d’immaitrisable’ (Alain Ehrenberg, la fatigue d’être soi).

 Références

Pour en rire et dédramatiser, un article de Marie Desplechins, savoureux : L’art de remettre au lendemain, l’express.fr

Melville, Bartleby, et autres nouvelles.

Henri Laborit : Eloge de la fuite

Alain Ehrenberg : La Fatigue d’être soi

 

Le sentiment d’abandon

Le sentiment d’abandon est une souffrance psychique invasive particulièrement ravivée à chaque séparation ou  période de solitude.

Les manifestations

Il se caractérise par une grande difficulté à vivre les pertes, les ruptures. Les deuils sont longs et laborieux. La peur de la solitude rend le sujet avide de sorties, de relations, de contacts, d’activités. La perspective d’une soirée libre est angoissante. Aussitôt seul, la sensation de vide apparaît. Un intense besoin fusionnel prive le sujet de son autonomie affective. Toute perte  réactive la peur d’être abandonné.

La plupart du temps, la personne souffrant d’un sentiment d’abandon connaît une grande insécurité affective, avec un manque de confiance en ses valeurs personnelles, et donc une recherche de validation par l’extérieur, un besoin d’être rassuré en permanence. Ces besoins insatiables étant la plupart du temps insatisfaits, la frustration entraine de l’agressivité, souvent tournée vers soi-même, et une instabilité d’humeur.

Les relations à l’autre sont troublées, le moindre retrait dans l’échange apparaît aussitôt comme tragique.  La dépendance affective entraine de fortes anxiétés et une profonde dévalorisation, parfois une soumission à l’autre. La peur de la trahison dicte les comportements, et s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice ainsi que de culpabilité.

La fuite ou le repli sur soi peuvent être des réponses en cas d’incapacité à surmonter la souffrance liée à cette insécurité.

Les causes

Chacun d’entre nous possède, enracinée, son histoire avec l’abandon. En effet, apparaissant dans la période originaire de l’évolution psychoaffective, elle est une des premières peurs à vivre. Notre dépendance de naissance nous porte à vivre intensément la crainte d’être abandonné qui est alors une question de survie pure et simple. Au démarrage de sa vie, l’être humain est totalement démuni, dépendant de son entourage pour sa survie, aussi bien physique que psychique.

Un entourage affectif stable et harmonieux compensera la peur de l’insécurité de base.  Mais si des perturbations, des incohérences troublent les conditions affectives et matérielles qui l’entourent, le petit humain ne se sentira pas sécurisé ni protégé. Les répercussions sur son psychisme, son niveau de stress, activeront sa peur d’être rejeté, d’être mal aimé. Et plus tard, sa peur de l’abandon, non suffisamment étayée, contenue, restera fixée, prête à se réveiller en cas de tensions dues aux aléas affectifs de la vie. Il en conservera un besoin illimité d’amour et de présence, pour tenter de reconquérir un territoire de sécurité dont il a manqué.

Pour découvrir les sources, il est donc souhaitable d’aller visiter les blessures affectives anciennes. Elles ne sont guère accessibles directement à la mémoire, et c’est par un travail d’approche, fondé sur l’étude des rêves, des contenus affectifs actuels et des réminiscences d’affects passés que la mémoire émotionnelle se reconstitue.

Certains sujets ont ainsi du mal à admettre avoir souffert d’un sentiment d’abandon, n’ayant pas été à proprement parler ‘abandonnés’.

Or, le sentiment d’abandon peut naitre de situations clairement identifiables, telles que la disparition ou l’absence d’un parent, un manque d’attention dû à l’indisponibilité d’un ou des parents (autre enfant réclamant toute l’attention, activité professionnelle envahissante, maladie ou dépression, etc..), ou au contraire une surprésence et surprotection affective, qui produisent les mêmes effets que le manque.

Mais aussi, dans certains cas, les causes sont moins évidentes. Parfois, les apparences sont parfaites. Pourtant le manque affectif est criant. Une sorte d’indifférence, de désinvestissement du parent peut avoir des effets fortement délétères.

L’imaginaire de l’abandon

L’abandon, la solitude sont des expériences archaïques, ancestrales. L’abandon est présent dans l’imaginaire, dans l’inconscient collectif. Il hante les cauchemars, les contes pour enfants, les histoires fantastiques. Un grand nombre d’œuvres cinématographiques ou de littérature évoquent  l’orphelin, l’incompris, le mal-aimé,  l’exclu, le solitaire rejeté, qui souffre, transcende sa condition pour devenir un héros et auquel chacun s’identifie.

Le thème de l’abandon est universel. Effectivement, certains parents choisissent, lors de l’arrivée au monde de l’enfant qu’ils portaient en eux, de ne pas le garder auprès d’eux, et de le laisser aux mains d’institutions, chargées de le confier afin d’être élevé par d’autres parents. Ce choix existe. Chacun de nous porte en lui cette possibilité. Chaque enfant , vers l’âge de 6 ou 7 ans, s’imagine être un enfant abandonné et recueilli, issu d’autres géniteurs,  ses « vrais parents » . C’est un roman familial qui peut être très présent pour certains. Les contes les plus forts pour l’enfant, sont ceux où un enfant mal-aimé, ou abandonné dépasse sa malchance et transforme en force ses déboires, en un chemin initiatique plein d’enseignement et de ressources pour l’à venir.

Les premiers objets d’amour

Dans la psyché humaine, les premiers attachements, nos objets d’amour primitifs, conditionnent les mouvements affectifs ultérieurs.  La façon dont ces attachements se sont déroulés est au cœur de la problématique de l’abandon.

D’après les travaux de Mélanie Klein (*), les tout premiers processus d’intériorisation et de projection du nourrisson sont à l’origine du sentiment de solitude.  Si ces premières relations objectales se déroulent de façon satisfaisante, l’enfant va réaliser ce que l’on appelle une ‘introjection du bon objet’ suffisamment solide pour asseoir petit à petit son sentiment de sécurité.  Quand les frustrations sont trop intenses, ou les satisfactions aléatoires, l’extérieur sera alors perçu trop souvent comme ‘mauvais objet’, source d’idées de persécution et de pulsions destructives à son égard.  Et ce mauvais objet, également intériorisé, deviendra source de mauvaise estime de soi et d’autoagressivité.

Aucun besoin ne pouvant être satisfait à 100 % et de façon pérenne, ce mouvement entre le bon et le mauvais objet est à l’origine des processus identificatoires successifs dont les différentes composantes vont s’intégrer progressivement pour permettre une stabilité affective et une bonne estime de soi.

‘le monde intérieur consiste en objets intériorisés  sous des aspects divers et dans des situations affectives différentes.’ Les rapports de ces objets internes entre eux peuvent être ressentis comme ‘hostiles et dangereux’, ou comme ‘bons et aimants’, selon les ‘tendances, émotions et fantasmes’ de l’enfant lui-même,  et aussi bien sûr, selon les ‘expériences, bonnes ou mauvaises provenant de l’extérieur’. (Mélanie Klein, A propos de l’identification)

Le Moi est dans un premier temps soumis à ces échanges chaotiques et violents, puis s’organise, c’est-à-dire intègre bon et mauvais objet, pulsion de vie et pulsion de mort, pulsions destructives et pulsions d’amour de façon à ce que le ‘bon objet’ ne soit pas menacé par le ‘mauvais objet’.

Or, cette organisation n’est jamais parfaite et laisse place à ‘l’angoisse que les sentiments destructeurs ne submergent les sentiments d’amour et que le bon objet ne soit menacé’.

Si le bon objet n’est pas solidement ancré, grâce notamment à l’action d’un entourage fiable, la sécurité acquise sera menacée, dans le cas de tensions externes vécues tout au long de la vie, entrainant un sentiment de solitude.

Le sentiment d’être compris par l’extérieur ou au contraire de ne jamais l’être est issu du déroulé de ces premiers échanges.  L’impression d’être bon ou mauvais, à l’intérieur, également. Ainsi, certains ont le sentiment, sans aucune réalité objective, d’être une ‘mauvaise personne’. Comme si un mauvais objet’ était, de fait, intériorisé. La méfiance vis-à-vis de l’autre et la difficulté à faire confiance découlent du même ‘mauvais objet’ projeté à l’extérieur.

L’évolution personnelle

Désirs et peurs émaillent chaque étape de la vie.

Franchir une étape d’évolution nécessite de dépasser des peurs, de lâcher la protection pour oser, pour franchir le passage, pour s’émanciper vers un niveau d’autonomie plus grand. L’évolution psychique, affective, physique, intellectuelle, pousse vers une autonomie de plus en plus importante.

On abandonne donc, à chaque poussée d’évolution, le confort précédent  qu’on avait conquis, qui nous rassurait. Le désir de vivre, de voler plus loin  nous appelle !

Mais ce désir peut être freiné par des peurs invalidantes. La peur de l’abandon en est une.

La peur de l’abandon nait du refus d’accepter la séparation, vécue comme une trahison, un rejet, et non comme un processus normal d’émancipation. Le sujet lutte contre l’acceptation, se resserre sur son refus .

En conclusion

La séparation est nécessaire et le sentiment d’abandon doit être traversé pour évoluer. Les évènements douloureux ayant engendré cette compulsion à se sentir abandonné doivent être revus, pour être pensés, symbolisés, intégrés. De façon à ne plus se sentir victime d’une situation subie, mais au contraire acteur d’une évolution à faire advenir.

 

(*) Mélanie Klein psychanalyste (1882-1960) : Envie et gratitude – et autres essais

L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.