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Se trahir

La notion de trahison implique qu’une confiance accordée a été perdue. L’autre, en qui l’on croyait, n’a pas agi dans le sens que l’on attendait. L’autre, ce peut être soi-même : que se passe-t-il quand on se trahit ? est ce que se trahir est se perdre ? ou au contraire, doit-on se trahir pour se retrouver ? Comment conquérir le chemin vers un authentique soi ?

Quand nous trahissons-nous ?

Au sens premier, trahir signifie livrer une information à un tiers, dévoiler un secret.
De même, on se trahit quand on donne à voir à l’extérieur quelque chose qui nous échappe, que nous n’avons pas souhaité extérioriser. Tout ce qui émane de nous sans que nous le maitrisions : nos oublis, nos actes manqués, nos lapsus, nos impulsions, tout ce qui parle de quelque chose de nous, soit que nous ignorons nous-mêmes, soit que nous aimerions conserver au secret.
Ce sont aussi des gestes spontanés, des paroles trop vite prononcées et que l’on regrette ensuite, qui ‘dépassent notre pensée’. Ou qui au contraire la révèlent de façon trop crue. Même le silence est porteur de message : ne dit-on pas que le ‘silence trahit la gêne’ ?
Qu’est ce qui nous conduit, par maladresse, à commettre une ‘gaffe’, en énonçant précisément ce qui choque, ou vexe, ou à dévoiler un secret, mettant ainsi brutalement en lumière un non-dit sans l’avoir décidé ?
Ce sont aussi les émotions que nous ne pouvons contenir: les rougissements, les lèvres frémissantes, les larmes aux yeux…tout ce que nous avons appris à déconsidérer, à enfermer, pensant que ce sont des faiblesses. Or, ces manifestations vitales nous échappent et se donnent à voir, sans que nous ne puissions rien faire.
Ne dit-on pas que ‘mes larmes trahissent mon chagrin ‘?
‘ L’être humain est vécu par le Ça’ dit Georg Groddeck (1). Autrement dit, par l’inconscient,  ce ‘quelque chose d’inconnu’, agissant à notre insu, trahissant notre conscient. Le ça, cette partie secrète et bien vivante cherche à s’exprimer quelle que soit la force de la répression mise en œuvre pour le refouler. Nous sommes les premiers surpris de ces émanations incontrôlées.

Se sentir défaillant

Nous sommes trahis par notre corps quand il n’est pas présent là où on l’attend : maladie, faiblesse, fatigue, forces non suffisantes, il nous met à l’épreuve d’avoir à réajuster nos exigences vis-à-vis de lui. On dit bien que nos forces nous trahissent. Elles sont défaillantes quand nous aurions pourtant voulu compter sur elles.

L’auteure américaine Siri Hustvedt (2) dans ‘la Femme qui tremble’ raconte ses investigations psychiques, neurologiques, et médicales pour tenter de comprendre un phénomène de tremblements irrépressibles de tout son corps, apparus soudainement lorsqu’elle donnait une conférence, s’arrêtant dès qu’elle cesse de parler, et qui ne s’accompagne d’aucun autre symptôme. Ne pouvant absolument pas maitriser cette tourmente qui s’impose à elle, Siri Hustvedt cherche les explications : Cela raconte quoi ? quelle partie d’elle s’exprime ainsi ?
‘La femme saisie de tremblements me donnait l’impression, en même temps, d’être et de ne pas être moi’

Notre mémoire nous trahit quand il s’avère impossible de se souvenir correctement d’une situation, d’une parole, du titre d’un film. Et quand le souvenir est là, il est plus ou moins précis, voire déformé. La capacité à se remémorer est fluctuante, la mémoire est infidèle au réel.

Ne pas être fidèle aux engagements vis-à-vis de soi

Nous sommes trahis dans notre confiance en nous-mêmes quand nous échouons, quand nous ne nous sentons pas à la hauteur, alors que nous pensions être prêts : examen râté, entretien de recrutement médiocre, prise de parole enlisée, rendez-vous saboté etc..
On peut ne pas aller au bout d’une tâche que l’on s’était assignée, ne pas tenir les promesses que l’on s’était fixées, abandonnant ainsi un engagement personnel.

Exemple : A, fermement décidée à ne plus fumer, a stoppé sa consommation durant deux mois. Relâchant sa vigilance, elle accepte quelques cigarettes au cours d’une soirée, oubliant sa résolution dans l’euphorie du moment, persuadée que ce n’est qu’un intermède. Le lendemain, prise de remords et de culpabilité, elle achète à nouveau des cigarettes, comme pour se punir d’avoir trahi, la veille, ses propres engagements.

Accepter l’inacceptable est aussi se trahir.

Etre fidèle à des liens qui entravent peut aboutir à un tel reniement de soi, que l’inacceptable advient : vivre a contrario de ses valeurs, supporter d’être malmené, maltraité. Ne plus croire en soi au point de renoncer à se battre pour se libérer d’un joug auquel on est soumis. Ainsi, c’est trahir ses propres désirs d’émancipation. Voire ne plus les ressentir.

Se mentir à soi-même

A force de vouloir se conformer aux pressions sociales de toutes sortes, on finit par ne plus savoir qui on est vraiment. Par peur de ne pas être aimé, certains se construisent dans l’objectif, parfois unique, de plaire à autrui. Pour paraitre parfaitement adapté, la réussite peut être brillante, l’image lisse et belle. C’est ce qui s’appelle une construction en ‘faux-self’, décrite et étudiée par Donald Winnicott (3).
Cependant, la véritable personnalité est cachée, enfouie, voire carrément ignorée. Les désirs et émotions peuvent même être considérés comme négligeables ou inopportuns.
Nous sommes tous plus ou moins soumis à cette obligation du paraître. Dans une société de la performance et de l’image, où les illusions de toute puissance et de jeunesse éternelle sont portées au pinacle, il est difficile de ne pas trahir ses aspirations profondes. D’autant plus que parfois, on les reconnaît à peine, n’y ayant jamais porté attention. Un sentiment de dépersonnalisation s’ensuit, quand, quittant les rives de son moi authentique, l’être dérive au hasard des diverses identifications qui l’attirent tour à tour. Il s’est trahi, acceptant de vivre très éloigné de lui-même.
Le sentiment de ‘se trahir’ signale, dans tous ces cas, que quelque chose en nous, que nous ne connaissons pas, agit et nous fait aller dans un sens que nous ne souhaitons pas. C’est ne plus se sentir maitre dans sa maison, ne plus avoir confiance en ses forces, en son mental.

Mais se renouveler, n’est-ce pas se trahir aussi ?

Nous trahissons nos idéaux, nos croyances, nos habitudes, lorsque nous en changeons. Ceci ouvre potentiellement à des tensions, à des doutes : est-ce que je n’ai pas le devoir de rester fidèle à mes valeurs et attachements premiers ? Suis-je légitime dans mon souhait de modifier ma façon de vivre, construite par loyauté sociale ou familiale?

Ai-je le droit de changer, en somme ?

Autrement dit quitter le chemin que l’on avait pris pour s’engager ailleurs, est-ce se trahir ? A quoi est-ce que je choisis d’être fidèle ?
-Accepter que la trahison des anciens attachements précède tous les changements et entraine l’évolution.
Par exemple, on élabore sa vie d’adulte en transformant les relations et les images parentales. Rester fidèle à la relation parentale infantile serait s’installer dans une fixation névrotique.
Ainsi, chaque période nouvelle d’évolution personnelle entraine une trahison par rapport aux attachements de la période précédente. La mobilité est à ce prix. Des trahisons multiples jalonnent notre histoire, trahison voulue, subie, vécue dans la souffrance, puis la libération d’une loyauté qui nous immobilise, nous entrave dans notre processus d’évolution.
Se trahir est donc passer à autre chose, rompre avec un état précédent, pour se placer différemment, pour amorcer un épanouissement nouveau.
Accepter que ce mouvement s’accompagne toujours de culpabilité
Des tensions se manifestent, entre d’une part le désir de faire de nouveaux choix, et d’autre part la peur de de transgresser les interdits implicites. Entre le désir de rompre avec des fidélités qui nous enferment et la peur d’abandonner une partie de soi ou de son histoire.C’est en comprenant d’où émane cette culpabilité que nous pouvons retrouver le conflit, et notre désir profond.
Pour choisir une voie nouvelle dans quelque domaine que ce soit, il est nécessaire de rompre avec un certain passé.
Parfois il faut un accompagnement pour vivre les renoncements comme un retour à soi et non comme une défaite ou une trahison de soi.

Comment ne plus se trahir et être en phase avec soi-même ?

Exemple: B décide de consulter pour reprendre sa vie en main :’Je suis sorti de mon chemin sans m’en rendre compte, m’oubliant tout à fait pour m’engager totalement dans mon travail, sous l’emprise de ma chef. Il m’a fallu plusieurs mois pour me dégager de cette emprise, même après en avoir pris conscience. Je retrouve mon goût de vivre, que j’avais perdu, comme si je m’étais abandonné moi-même au cours de ces années, trahissant qui je suis, et oubliant tout ce qui fait mon équilibre.’

Comment revenir à soi, quand on s’est perdu, quand on a trahi ce qu’on est ?

Le sentiment de déperdition s’accompagne d’une grande souffrance, qui nécessite d’être reconnue en tant que telle, et dont la cause doit être identifiée.
Il s’agira de trouver les modes d’expressions pour laisser émerger la personnalité, au plus près des émotions, des sensations, pour ne plus trahir sa pensée, mais au contraire l’élaborer au travers des vécus.
Prendre conscience que certaines bases de construction ne nous conviennent plus constitue l’étape première pour ensuite créer les fondations d’une réappropriation de son vécu.
Faire le point de l’existant : où j’en suis, qu’est-ce-que je vis actuellement, qu’est ce qui me satisfait, qu’est ce qui  ne me convient plus.
Puis une recherche intérieure est nécessaire pour reconnaître ce qui est essentiel, pour ne plus trahir ses fondamentaux, pour y revenir, s’appuyer sur eux. Pour renouer avec son monde émotionnel. Prendre appui sur sa sécurité intérieure.

Bibliographie
1 Georg Groddeck psychanalyste, 1866,1934 : Le livre du Ça.
2 Siri Hustvedt : la Femme qui tremble.
3 Donald Winnicott : pédopsychiatre et psychanalyste 1896-1971

La réalité psychique

Nous pouvons tenter de définir la réalité psychique, à partir des trois modes que sont le réel, l’imaginaire et le symbolique, reprenant ainsi l’approche de Lacan.

Quand il y a une souplesse d’échanges articulés entre ces trois registres, on peut parler de fonctionnement psychique satisfaisant. Si l’équilibre est perdu, un mal-être ira grandissant. Le travail analytique consiste à activer les interactions psychiques pour que les trois niveaux collaborent et s’harmonisent mutuellement.

Le réel se définit dans ses rapports aux deux registres : celui du symbolique et celui de l’imaginaire, avec lesquels  il forme structure , par lesquels il peut être approché, pensé, élaboré ensuite.

S’il n’est pas structuré au sein du symbolique et de l’imaginaire, le réel ne peut pas s’appréhender. Il est alors informe, impensé. Il est ‘l’objet d’angoisse par excellence.’ Ce n’est même pas l’inconnu, c’est le ‘non-reconnu’. Tant qu’il n’est pas relié, mis en mots, donc intégré, tant qu’il reste inommé, il est l’impossible, générateur d’une souffrance absolue, et indicible. Il est un point aveugle du psychisme, il  relève de la crypte de l’inconscient.  Il est l’impossible à dire, car l’impensé. L’angoisse absolue.

Le réel est, par exemple, ce que l’enfant vit et ne peut se représenter, saisi par l’effroi, sidéré par l’inconnu faisant effraction. En d’autres termes, on l’appelle trauma. Un trauma vécu sans mots, sans élaboration psychique, sans possibilité de représentation.

Pour être intégré, le réel s’appuie sur le symbolique, constitué des mots, des différentes représentations, de la comparaison, des histoires d’autrui. Le réel est alors tenu, maintenu, porté par le symbolique, devient supportable de ce fait. Avec le symbolique, le réel peut s’intégrer, s’incarner psychiquement. Le symbolique travaille le réel jusqu’à le transformer en quelque chose de possible.

S’il ne peut pas être intégré, s’instaure un clivage de la personnalité. Il peut alors faire irruption de façon fracassante, peut devenir délire, hallucination. Il s’impose d’autant plus qu’il n’est pas pensé. Il surgit là où on ne le voit pas, précisément. Il enferme le sujet dans la répétition. Il est ‘la mauvaise rencontre’. Le sujet vient toujours buter sur lui, tant qu’il ne l’a pas ‘travaillé’. N’étant pas symbolisé, le réel s’impose sous forme d’acting, de passages à l’acte, d’agir pulsionnel, de compulsion de reproduction des mêmes scénarii, de somatisation.  Le corps agit là où le psychisme n’a pu mettre des mots.

Le travail psychique contribue à intégrer le réel dans l’inconscient, sans quoi il est encrypté, fossilisé, Il devient alors un point aveugle, qui rend aveugle à ce que l’on vit ‘réellement’, organisant les répétitions de fonctionnement.

Le premier réel qui nous est donné de vivre est le traumatisme de la naissance, passage de l’état de fœtus entouré de l’enveloppe utérine, à l’état de nouveau-né, dans la dureté de l’air, des sons, et des lumières, de ce soudain réel non tamisé, non filtré. Privé à tout jamais de la matrice ultra protectrice, le bébé est assailli d’angoisses, et de frustration, qui l’envahissent sur un mode hallucinatoire. Petit à petit, ces angoisses s’atténuent, grâce à l’entourage qui ne s’affole pas, reste calme, accueillant, trouve cela ‘normal’. Les mots et les gestes de l’entourage constituent un premier rempart contre la psychose hallucinatoire qui l’envahit. Puis, l’accès au symbolique par les premiers mots, les premières représentations qui remplacent le ‘pas-présent’, permettra d’intégrer le réel, d’accepter la perte fondatrice, et les autres, les absences, les insuffisances, laissant apparaitre le désir : celui d’explorer le monde alentour, de parler, de marcher, de grandir dans ce monde.

Il en est ainsi de tous les processus d’intégration psychique du réel, au cours de la vie. L’acceptation se réalise par la symbolisation que sont la mise en mots de l’émotionnel, la verbalisation du vécu et par l’imaginaire qui permet de s’extraire pour envisager autre chose.   Ainsi, le sujet remplace toute perte par la nostalgie. Et peut s’acheminer vers d’autres investissements.

La discontinuité créée par l’expérience du manque contribue à créer un décalage, une inadéquation. Tant qu’il ne peut saisir le monde par les mots, le sujet est soumis à son manque-à-être. La continuité de la vie psychique est assurée par l’intermédiaire de la symbolisation, qui intervient précisément pour combler ce manque. Elle intègre le signifié par l’intermédiaire de sa représentation qu’est le signifiant.

Selon cette conception, le langage a la primauté sur l’être, le langage construit le sujet.

Le réel c’est l’impossible dit Lacan et il est même impossible à définir. Est-ce la part de l’inconscient à laquelle  le sujet n’a jamais accès ? il n’est repérable, ce réel, que s’il est combiné comme on l’a vu, au symbolique et à l’imaginaire.

Le registre de l’imaginaire est le siège des ‘images,’ des identifications, des leurres, des rêves produits par l’imagination. C’est une première étape pour sortir du réel, pour accepter de le vivre. C’est de la projection faite sur autrui, sur le monde extérieur. Nous voyons l’extérieur au travers du prisme de notre vision imaginaire du monde. Autrement dit, c’est le registre du moi, dans ce qu’il a élaboré, construit, au travers de ses fictions, de ses croyances, de ses attentes, de ses espérances, de ses modèles effecteurs. Avec sa dose de refoulé, de méconnaissance. C’est aussi le domaine de l’amour, des sentiments, de l’ambivalence de ceux-ci. C’est également le domaine des jalousies, des comparaisons, de l’agressivité, constitutifs des efforts réalisés pour tenir sa place dans la relation à l’autre. C’est l’imitation, le faire semblant, la capacité de se représenter une partie de la réalité. C’est bien sur ce qui permet de compenser les pertes, de réparer les frustrations, de vivre les deuils, de fuir les conflits intérieurs en se projetant imaginairement dans un monde irréel, bienfaisant, nourricier. Il permet de donner sens à nos investissements par les représentations et  les symbolisations. ‘L’imaginaire permet de pouvoir différer le plaisir, en le rêvant ‘ (1) Il est le registre du plaisir espéré, permettant de s’investir dans les activités, les relations, les apprentissages, de faire des choix de vie. C’est le désir qui se mobilise pour accepter de faire les efforts et vivre les difficultés liés à toutes nos entreprises.

L’imaginaire se construit en premier lieu au stade du miroir, stade du narcissisme primaire. Auparavant, l’enfant ne se différencie pas du monde extérieur, il fait un avec tout. Puis, au stade où il se reconnait dans le miroir, il voit non pas lui, entièrement, tel que lui, mais lui, au travers de l’image de son corps, comme s’il était un autre. Il regarde alors l’adulte présent, dans un moment de jubilation, car c’est au travers de l’encouragement et du regard de l’autre, qu’il prend conscience que cette image est lui. Ainsi est préfiguré ce besoin chez tout être humain de se repérer dans les yeux de l’autre, pour s’évaluer. Et la difficulté à se connaitre, cette connaissance ne pouvant qu’être partielle, illusoire, au travers de l’image que l’on perçoit de soi, et donne  à voir à soi-même et aux autres.

Le registre de l’imaginaire est donc tout ce que produit le sujet pour aménager sa réalité à vivre et le réel. Il est aussi constitué des histoires que l’on se raconte, de toutes les déformations dues à notre point de vue partial, de tout ce qu’on a voulu voir et amplifier et aussi de tout ce qu’on n’a pas voulu voir, ni savoir.

L’imaginaire vit sous la contrainte du monde extérieur. Préoccupé de l’image à donner et de la place à occuper, l’imaginaire contraint, limite l’accès au réel, voire le censure totalement.

Grâce au symbolique le réel est désenglué de l’imaginaire. Le symbolique permet l’approche du réel, et sa distinction d’avec l’imaginaire.

Le symbolique est la représentation mentale qui remplace ce qui est absent. Autrement dit, la symbolisation permet la mise à distance d’avec le manque, de remettre à plus tard l’obtention de la satisfaction, et de vivre l’échange avec les autres. La fonction symbolique est le tiers séparateur qui permet de se différencier de l’assimilation avec tout, et donc d’exister en tant que sujet autonome, en relation avec d’autres sujets autonomes. Ce sont les grandes lois qui régissent une civilisation, tel que l’interdit de l’inceste, l’interdit de tuer, l’ordre générationnel, les codes sociaux, communautaires et leur intégration, sublimation, transmission. Le symbolique permet de ‘civiliser’ l’inconscient, de diminuer le pulsionnel en le canalisant.

Le langage, le jeu, l’imitation et la représentation mentale sont les principaux fondateurs de l’accès au symbolique chez le sujet en devenir.

‘Au principe même du désir humain, le réel existe et se noue au symbolique grâce à l’imaginaire.’ (2)

On voit à quel point les trois registres en interaction forment un équilibre créateur. Et à quel point, si l’un domine, un déséquilibre dangereux s’ensuit.

Si  l’imaginaire est trop puissant, non endigué par la symbolisation (la structure parentale pour un enfant, qui constitue la loi symbolique fondamentale par exemple) alors il y aura inhibition de la fonction imaginaire, par crainte du débordement, de la ‘folie’ imaginative.

Si le réel s’introduit sans médiation par l’imaginaire et le symbolique, il est pure angoisse.

Si le symbolique fait défaut, tout l’édifice est à l’arrêt.

Le travail psychique d’une cure, grâce au maniement du symbolique et à l’exploration des mécanismes du moi, contribue d’un part à une intégration du réel, et permet d’éviter son intrusion et l’effroi d’angoisse qui l’accompagne. Et d’autre part à un détachement de l’identification à son ‘moi’ imaginaire.

Ainsi créant la possibilité d’interactions entre les trois ordres, et l’activation des possibilités créatrices du sujet, qui se libère de ses représentations inhibitrices (‘moi’ fort), et de son réel non symbolisé (inconscient aux commandes).

(1) et (2°) article de Jeannine Duval Héraudet: Une articulation entre le réel, l’imaginaire et le symbolique, le nœud borroméen.

 

 

 

 

 

La mémoire inconsciente

La mémoire se divise en deux compartiments

La mémoire explicite, constituée des souvenirs anciens et récents accessibles à la conscience divisée en : Mémoire à court terme, Mémoire à long terme.

Cette mémoire permet de raconter, de relater des évènements de vie (mémoire épisodique ou auto-biographique). Elle comprend également le savoir, les connaissances et concepts dont s’est enrichie la pensée, les outils de la réflexion abstraite (mémoire sémantique)

La mémoire implicite, elle, n’est pas directement accessible. Elle est composée de tout ce dont nous nous rappelons, sans nous en souvenir.

Un grand nombre de souvenirs sont entrés dans l’Inconscient, pour toujours. Ainsi en est-il, la plupart du temps, des vécus de la petite enfance, avant l’âge de 7 ans. Rares sont ceux dont la remémoration est possible. C’est l’amnésie infantile. Or, ces souvenirs ne sont pas effacés. Présent en nous, leur contenu émotionnel et refoulé agit sur nos fonctionnements à notre insu. Ces réminiscences actives constituent le ferment de nos actions, et ont laissé des traces durables, indélébiles. Chargées affectivement, elles apparaissent dans nos symptômes, dans nos actes manqués, dans les motivations en profondeur de nos actes. Elles sont aussi dans nos rêves.

Ainsi, chaque nuit, nous nous rappelons à notre insu notre passé sans nous en souvenir. (Roland Gori)

Les goûts, les choix, les fonctionnements, les répétitions de comportements de l’âge adulte sont conditionnés en grande partie par ce refoulé, inaccessible directement à la conscience.

En effet, comment imaginer que ce terreau des premières sensations, des émotions fortes et chaotiques, de la gestion du pulsionnel infantile par l’entourage puisse ne pas laisser de traces en profondeur ?

Ces vécus oubliés mais non effacés, sont travaillés, transformés, et réactualisés par l’activité psychique, en permanence. Les résonances de ces traces mnésiques avec les évènements du présent  activent et brassent sans cesse leur chargement  affectif vivace. C’est ainsi que notre histoire ancienne, bien que partiellement ou complètement oubliée, œuvre dans l’ombre.

Le processus mémoriel soumet le matériau des souvenirs à des forces psychiques nombreuses, dont celle qui entraine l’oubli (refoulement).  L’oubli fait partie intrinsèque de la mémoire. Il en est un aspect, non une tare.

De plus, chaque nouvel évènement vécu et par conséquent mémorisé entraine une reformulation de l’ensemble.

Le travail psychique reconstruit les vécus mémorisés. Le souvenir est un reflet flou, imprécis et déformé du réel. Il est facile de constater par exemple qu’évoquant un évènement passé, nous nous voyons agir comme si nous étions extérieurs à nous-mêmes. Ceci montre que le psychisme ne reproduit pas le réel, mais en élabore une représentation.

Les neurosciences corroborent l’idée de l’empreinte émotionnelle des premières années de la vie. L’amygdale cérébrale est le centre de cette mémoire implicite, structure impliquée particulièrement au niveau émotionnel. Or, l’amygdale, la plus ancienne formation du cerveau (et la plus archaïque du point de vue de l’espèce) est en activité dans la petite enfance, bien avant les structures de la mémoire explicite ( dont l‘hippocampe) qui se construisent et deviennent matures les années suivantes. Ceci explique aussi pourquoi cette mémoire très ancienne est aussi vivace.

Dans la mémoire implicite se trouvent les sources des symptômes, des répétitions compulsives qui contiennent et enferment l’élan vers l’évolution personnelle.

La répétition existe tant que la pulsion refoulée ne trouve aucun écho dans le conscient. En effet, fixée à une période du développement infantile, la pulsion non élaborée car profondément remisée dans l’inconscient, ne s’est pas transformée, n’a pas trouvé de sortie symbolique. Elle  insiste donc, dans sa version archaïque, soumise à la contrainte du refoulement et voulant en même temps à tout prix se soulager. Elle se manifeste sous forme de retour à l’identique, laissant au sujet la désagréable impression d’un sur-place, sans que la volonté n’y puisse rien.

 La répétition est, elle aussi, une forme de mémoire. Elle est une manière de rappeler le passé par l’éternel retour du même… Elle présentifie une histoire sans souvenir (Marylin Corcos)

Toutes ces mémoires ont des connexions entre elles.

C’est la raison pour laquelle on peut agir sur les équilibres et libérer des mémoires inconscientes.

Ainsi, en psychanalyse, lever les secrets de la mémoire implicite entraine l’enrichissement de la mémoire explicite. Une partie des éléments refoulés transite par le seuil du conscient et entre en interaction avec les autres souvenirs déjà présents. La mémoire parcellaire du conscient se reconstitue de façon plus linéaire, des pans entiers restés dans l’ombre s’éclairent.

La répétition inconsciente laisse place à une construction pleine de sens, à un récit continu, donnant l’impression que des ‘morceaux du puzzle s’assemblent’ selon une formule souvent utilisée par les analysants. Cela correspond à un profond besoin chez l’humain de se repérer dans son histoire de vie, de considérer l’avant, pour envisager l’après. La mémoire autobiographique contribue à la symbolisation nécessaire pour dépasser les points de fixation dans l’histoire de vie.

Nos souvenirs sont en partie fantasmés, en partie oubliés, car ils font l’objet d’un travail psychique constant. Leur intégration dans les différentes mémoires et leur symbolisation contribuent à affirmer notre sentiment d’identité personnelle.

 

Références :

 Dans Cliniques méditerranéennes 2003/1 (no 67), p 100 – 108

Carnet PSY 2008/3 (n° 125), p. 32-35.

Témoignage d’une analyse

Jean- Marc Savoye, avec le regard de Philippe Grimbert : ‘Et toujours elle m’écrivait’  Editions Albin Michel

Seul un témoignage personnel permet de rendre compte de la multiplicité des chemins empruntés par le conscient et l’inconscient pour tisser les liens de la mémoire et parcourir les paysages inconnus et obscurs du psychisme.N’importe quel ouvrage savant de psychanalyse ne pourra égaler en acuité, en authenticité et en sincérité le témoignage vibrant et assoiffé de vérité d’un analysant en chemin vers la connaissance de lui.

Jean-Marc Savoye relate son cheminement analytique, au fil des années, accompagné successivement par trois analystes. Témoignage empli des nombreux doutes , atermoiements, colère, joie, tergiversations diverses qui émaillent la quête de soi qu’est une analyse.

Ce récit possède une particularité : A l’intérieur, presque de façon subreptice, se sont glissés les mots du dernier psychanalyste de JM Savoye : Philippe Grimbert. C’est un livre à deux voix : la parole de l’analysant et celle de l’analyste s’entrecroisent . L’analyste commente de façon délicate et légère certains épisodes du cheminement de l’auteur.

Jean Marc Savoye nous convie à assister à sa bataille contre sa névrose, elle-même familiale, comme toujours. C’est un combat contre les flous affectifs qui ont entouré sa venue, les assourdissants non-dits qui l’ont embarrassé dans son enfance, contre les confusions des rôles parentaux.

C’est un combat pour la fin de l’indétermination de sa personnalité, pour la réécriture de son histoire par lui-même, pour le rétablissement de sa juste place dans le cours des transmissions familiales, entre son père et ses fils. Pour la mise en état de son psychisme et son insertion dans le cours réel de la vie.

Comme l’écrit Philippe Grimbert, c’est une chance pour lui d’avoir choisi la psychanalyse et non la dépression, ainsi qu’il l’explique. La psychanalyse l’a sauvé d’une mort psychique vers laquelle il sombrait, son état d’avant étant caractéristique d’une difficulté à vivre, dans tous les domaines. La névrose familiale a produit des dégâts sur les personnes qui n’ont pas entamé de démarche, lui indiquant dans quel état il serait lui-même s’il n’avait rien tenté pour s’en sortir.

Avec sa première analyste, JM Savoye expérimente une méthode où rigidité et mutisme sont de mise. Ce dispositif convient au caractère obsessionnel qui est le sien, mais montre ses limites. Au bout de ce travail, il va mieux, mais ses doutes et ses angoisses pointant à nouveau, et son accomplissement professionnel notamment n’étant pas satisfaisant, il sonne à nouveau chez un analyste pour continuer.

Les phases de ressassements sont entrecoupées de prises de conscience, arrivant par surprise, au détour d’un acte qui aurait pu rester anodin, comme l’achat d’une barbue chez le poissonnier. On voit l’œuvre de l’activation psychique, qui se sert de toutes sortes d’éléments venus à la conscience, produisant un éclat particulier en cas de rencontre, de résonance. La mise en relation des signifiants et la réflexion, le cheminement de la pensée complètent, instruisent le phénomène psychique. Les pièces du puzzle se placent.

Il est question de la résistance à la fin de l’analyse, dénouée par l’analyste, qui s’en explique.

Il est question de la dimension émotionnelle, dimension en partie manquante à ces tranches d’analyse.

La réunion des faits et de leurs émotions permet d’activer le travail psychique plus en profondeur. Les résurgences émotionnelles constituent le ferment de la transformation des fonctionnements.

JM Savoye est allé consulter un praticien en EMDR, après son parcours analytique. Utilisant d’autres canaux que ceux de l’analyse, la méthode EMDR lui a permis de ne pas se réfugier dans l’intellectualisation. Il a pu lâcher-prise, accéder enfin à ses émotions enfouies.

Les techniques, bien loin de s’opposer, se complètent et se renforcent mutuellement.

la matière de l’analyse, ce sont les mots’ dit JM Savoye. Dès lors, comment mettre en mots ce qui émane des profondeurs indicibles de l’inconscient. Ce processus de mise en langage sort le fait psychique de sa gangue, l’offre à la lumière, à l’intelligibilité du sujet.

Ainsi l’écriture est le pendant de l’analyse, son complément, sa suite logique.

Comme dit P. Grimbert, l’écrivain, tout comme l’analyste, ne s’autorise que de lui-même, selon le mot de Lacan. La troisième tranche d’analyse permit à JM Savoye de s’autoriser à devenir écrivain, lui qui baignait depuis très longtemps dans l’édition.

Pour JM Savoye, les accomplissements personnels que sont : la créativité et l’autonomie professionnelle, l’écriture, le rôle de père, sont les ancrages dans le réel qui ponctuent la libération de son être.

Ce témoignage est la preuve supplémentaire que la question des origines est ce sur quoi s’amorce tout travail analytique. On ne plonge aussi profond que si l’on est tenaillé par un questionnement enraciné aux prémices de sa vie, dû à un mystère vertigineux, un manque identitaire, un acharnement du destin qui appuie sur la partie flottante.

Un témoignage très personnel et intime, mais qui parle à tous les névrosés que nous sommes, de l’amour, de la haine, de l’inavouable, de la détresse intime, de la solitude, de l’oppression, de la libération, de la dualité, du destin.

L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.

Un témoignage: la psychanalyse comme parcours poétique

« La psychanalyse comme parcours poétique, une odyssée de soi » publié aux éditions l’Harmattan est le récit d’une psychanalyse.

Ce livre passionnant témoigne du parcours analytique de l’auteure, Gabriela Taranto-Tournon. Pour illustrer ce chemin si particulier, à nul autre pareil, qu’est une psychanalyse, Gabriela établit un parallèle avec le voyage initiatique de l’Odyssée d’Ulysse dans L’Iliade et l’Odyssée, épopée écrite par Homère, aux alentours de 1000 av JC.

L’auteure relie les itinéraires d’Ulysse et de son cheminement analytique, comme deux aventures de vie en correspondance. Etablissant un lien entre l’épopée antique relatée dans un texte mythique fondateur, et le parcours de vie intérieure issu de la découverte fondatrice contemporaine qu’est la psychanalyse.

Les étapes franchies par l’analysante au cours du vécu de son analyse s’accordent, vibrent en résonance avec les épreuves et combats émaillant le voyage d’Ulysse.

D’un côté un bateau et des instruments de navigation, pour naviguer sur la mer, de l’autre les mots et l’outil analytique pour remonter son histoire de cœur et d’esprit.

Comment se retrouver soi, pour vivre mieux, pour atteindre la liberté d’être. Comment voguer au milieu des souvenirs, des esquifs, des oublis, des hauts et des creux de vagues.

Un cheminement analytique est fait de tourmentes et de tempêtes, de matins calmes et de paix. Car il est le chemin de la vie même.

Le récit d’Ulysse est né de sa rencontre avec le roi Alkinoos. Ulysse est réfugié, en errance, naufragé, et souhaite retrouver son pays, son royaume. Mais il est perdu. Comme Alkinoos écoute Ulysse faire le récit du voyage qui l’a amené jusque là, pour l’aider à trouver son chemin vers sa maison (son moi) , le psychanalyste écoute le récit de vie de l’analysant, de façon à l’aider à trouver son propre chemin pour regagner sa vérité.

La quête de Gabriela exprimant sa demande lorsqu’elle démarre son travail : trouver ou retrouver sa place de femme. Son « royaume » ; là où elle peut être celle qu’elle est vraiment.

Le cyclope est le premier monstre auquel s’affronte Ulysse, au cours de son périple. Ce combat est aussi celui du début de la quête de soi: l’œil unique du cyclope, au milieu du front, est le troisième œil, celui de l’intuition et de la vision du monde intérieur.

L’analyse est la reconquête de sa vision personnelle. Ulysse (comme l’analysante) commence par se dépouiller de son ancienne identité (« mon nom est Personne ») pour renaitre à lui-même.

L’analyse est comme une symphonie en cinq mouvements : la rencontre, le récit répétitif, le récit viscéral, la séparation, la perlaboration.

« Il s’agit d’une transformation dynamique et double ; thérapeute et patient font advenir ensemble les transformations. »P.56

Le récit plonge au fur et à mesure dans les profondeurs de l’histoire, fait remonter à la surface émotions et souffrances de l’enfance. Le mouvement créée par cet échange entre conscient et inconscient, entre passé et présent, rend possible de nouvelles connexions, permet d’autres perspectives, fait surgir d’autres liens. L’espace psychique prend une dimension nouvelle.

De même Ulysse descend aux enfers pour y consulter l’âme de Tirésias à propos de sa destinée. Au fond du puits, la vérité. L’envie de savoir.

La vérité telle que la connaît l’inconscient va apparaître tout naturellement, petit à petit, au-delà des angoisses à vivre et à se souvenir.

Des épreuves sont à affronter au cours du chemin, chacun les siennes. Ulysse, après avoir échappé aux charmes des sirènes, ‘tombe de Charybde en Silla’, affronte tempêtes et naufrages, est finalement recueilli par Alcinoos et sa fille. L’analysante, elle, affronte des figures imposantes, des histoires parentales imbriquées de façon complexe, une place pas tout à fait juste ou claire, des fantasmes pour expliquer les silences, une structure familiale figée: tout est à décortiquer, à découvrir, à interroger, à remettre à sa place, pour trouver enfin paix et calme.

Et puis les résistances-freins, qui montrent qu’on est au cœur, au vital, qui donnent envie de prendre du repos, et qui, une fois dépassées, aident à avancer à grands pas.

La relation à la psychanalyste est le support de cette quête de soi au fil des séances. L’analysante apprend sur elle-même, guidée par l’analyste, pour pouvoir ensuite  naviguer seule.

« La relation qui s’établit entre thérapeute-patient a comme but sa propre fin. C’est-à-dire l’indépendance du patient. »P.80.

Ce n’est pas de guérison dont il s’agit, mais de mouvement, de marche reprise (la névrose est fixité, rigidité), d’évolution redevenue possible.

« La psychanalyse est une pensée active, une pensée en action. Elle est un revisiter pour revivre. » P.19

Ulysse à la fin de son odyssée arrive à Ithaca, et reprend place en son royaume. Il reprend sa vie, avec toute l’énergie nouvelle et les connaissances acquises au cours du périple. Il doit chasser ceux qui ont profité de son absence pour prendre ou convoiter sa place.

De même, après l’analyse, l’élan de vie est retrouvé, avec un psychisme enrichi, fort de ses abréactions, de ses prises de conscience, de ses compréhensions, de sa fluidité. Les futurs combats sont menés avec des forces renouvelées, pour se réapproprier sa vie, parfois faire des choix différents.

L’auteure-analysante insère des citations d’un ouvrage de sa psychanalyste, rappelant sa parole, en dialogue avec elle.

L’Odyssée de soi est en effet, également, un hommage plein d’émotions à la mémoire de la psychanalyste, décédée depuis.

Ce récit est l’histoire d’une thérapie psychanalytique, transposée dans un cadre poétique, au plus près du vécu et avec une grande justesse de ton.

La psychanalyse comme parcours poétique Une odyssée de soi, par Gabriela Taranto-Tournon  Editions L’Harmattan 2013

 

L’Inconscient

Comment parvenir à la connaissance de l’Inconscient?

Nous n’y avons accès que par le Conscient, après qu’il ait transformé, traduit l’Inconscient. Ceci se travaille en analyse, mais, pour l’analysant, non sans avoir surmonté des résistances, autrement dit les forces poussant à garder refoulées les motions inconscientes pour les empêcher d’accéder au Conscient. La partie inconsciente du psychisme se décrit selon trois points de vue :

– le point de vue dynamique : le psychisme comprend tout ce qui a été formé par l’ Inconscient, dans le but de construire un compromis avec la réalité. Les vécus mémorisés et les pulsions du ça, forment un ensemble synthétisé, que l’on appelle « les formations de l’Inconscient », qui s’expriment à l’extérieur sous forme de symptômes, oublis et autres actes manqués, ainsi que toutes les pensées, associations, affects, dont l’élaboration échappe au conscient, se reflétant dans les comportements, habitudes, émotions, pensées.

– le point de vue topique : Il s’agit de systèmes de fonctionnement dont les forces opposées créent une tension permanente. Equilibre et déséquilibre se succèdent. Le refoulement est une sorte de censure qui sépare l’Inconscient du Conscient. De nombreuses représentations de l’enfance ont ainsi été refoulées, en raison des multiples contraintes imposées par le Moi et le Surmoi.

Cependant, les affects liés aux représentations inconscientes, quant à eux, cherchent à se libérer du joug du refoulement. « Le refoulement agit par le retrait d’investissement des représentations tandis que l’affect libéré se transforme en angoisse ». Le “retour du refoulé” prend différentes formes, par exemple substitutives, comme la phobie.

La cure par la parole, en psychanalyse, permet d’amener au conscient ces motions refoulées, sous forme de traces mnésiques, pour les intégrer aux autres contenus, ce qui revient à désactiver ainsi leurs charges négatives et les prive de leurs propensions à s’amalgamer coûte que coûte à des représentations actuelles. Tant que ces contenus inconscients investissent pulsionnellement les contenus actuels, il n’y a pas de possibilité de faire varier durablement et profondément les choses. Il existe plusieurs mémoires, et la psychanalyse œuvre à la mise au jour de ces traces mnésiques infantiles oubliées, déchargeant ainsi les pulsions fixées, et permettant la transformation des registres d’investissement du réel. Les mots ont une charge symbolique très forte, en rapport avec les nœuds inconscients, d’où l’efficacité des cures par la parole.

– le point de vue économique : « Il rend compte des investissements, des rapports de force et du travail de transformation. Le refoulement des représentations inconscientes est maintenu par les contre-investissements. Selon l’avantage pris par le pulsionnel ou par les défenses, on distingue les formations substitutives (la phobie), les formations de compromis (la conversion hystérique), et les formations réactionnelles dont, par exemple, les traits de caractère. »

Dans le noyau de l’inconscient, les “motions pulsionnelles » sont coordonnées les unes aux autres, existent sans être influencées les unes à côté des autres, ne se contredisent pas entre elles.

Les rêves

De quoi parlent nos rêves ?

Le rêve est considéré comme un messager de l’inconscient. Grace au souvenir que nous en avons au réveil, des contenus psychiques refoulés arrivent dans le conscient. Le rêve ne triche pas : il vient directement de notre refoulé, sans apprêt, sans souci de réalisme ni de morale.

Ces productions une fois rendues conscientes, seront alors utilisables. Si le rêveur le souhaite, il étudiera, explorera, associera à partir de ces précieux matériaux psychiques issus de son inconscient.

Le rêve est selon Freud, « la via regia qui mène à la connaissance de l’inconscient dans la vie psychique. »

Le rêve nous parle de nos tensions psychiques, de nos peurs et de nos désirs, de nos espoirs et de nos déceptions, de tout ce qui constitue notre intériorité, largement inconnue de nous-mêmes.

« Nous rêvons de nos interrogations, de nos difficultés. » dit C.G.Jung.

Nos rêves et notre réalité sont fortement imbriqués : Pendant le rêve, nous pouvons nous croire réellement en train de vivre un événement : « je me sens fort, invincible. » et nous réveiller déçu au fur et à mesure que le conscient reprend sa place. La reprise du contrôle du conscient peut s’avérer longue de quelques minutes, pendant lesquelles le monde onirique et la réalité s’entrecroisent, et n’offrent pas de frontière précise. Ce moment est très riche en sensations et en imagination. Un évènement malheureux peut avoir été nié pendant le rêve : vous rêvez que vous réussissez votre permis de conduire, et pendant la phase de réveil vous revient petit à petit le souvenir de votre échec à cette épreuve passée la veille !

A contrario, vous rêvez d’une catastrophe ou d’une situation particulièrement désagréable, et votre soulagement est grand de voir revenir à vous les éléments de votre vie : « Ouf ! ce n’était qu’un rêve ! » que vous aimeriez bien oublier aussitôt ! Mais ce n’est pas si simple : On peut avoir envie de rester dans un rêve agréable, de même un rêve peut nous hanter longtemps, et nous tourmenter jusqu’à ce que des éléments de compréhension nous permettent une mise à distance.

Ainsi un contenu onirique ne reste pas cloisonné, il fait bel et bien partie de notre vie. Il laisse des traces en nous, et son souvenir peut être réparateur ou représenter une alerte, en tous les cas, il est plein d’enseignements.

Comment parlent nos rêves ?

– le rêve utilise un langage symbolique.

Un symbole est un condensé de signifiants renvoyant à un signifié.

‘A longueur de jour et de nuit, dans son langage, ses gestes ou ses rêves, qu’il s’en aperçoive ou non, chacun de nous utilise des symboles.’

‘Nous vivons dans un monde de symboles, et un monde de symboles vit en nous.’

Les symboles sont plus ou moins proches de nos préoccupations ou de notre contexte de vie, ils en sont aussi parfois très éloignés. Un rêveur ne prenant jamais le bateau peut très bien se retrouver en rêve, traversant la mer en paquebot ou en radeau ! La situation rêvée prend alors une dimension purement symbolique. Ce n’est pas le cas si le rêveur est un passionné de voile, pour qui ce rêve pourra avoir une autre signification, liée peut-être à des tensions au sujet de son prochain départ en mer.

Un symbole possède à la fois une signification personnelle, en fonction de son vécu, ou une signification universelle, commune à toutes les cultures.

Ex pour le bateau dont la signification symbolique est : la traversée, la nouvelle vie, l’évasion, les grands espaces, voire le long murissement ?

Le rêve est un condensé de souvenirs et émotions d’enfance, de résidus diurnes constitués des souvenirs très récents, parfois anodins en apparence, (une phrase d’une conversation, une scène d’un film vu à la télévision, une émotion ressentie, une personne rencontrée) de personnages issus du passé se retrouvant avec des personnes de l’entourage présent, d’évènements collectifs, de traumatismes anciens. Les matériaux utilisés, divers et multiples, sont en résonance avec les souvenirs de la vie présente et passée, personnelle et collective, et même trans générationnelle.

Que disent nos rêves ?

Chaque situation imaginée dans le rêve renvoie toujours au rêveur lui-même, quelle que soit la situation.

Le rêve n’implique que celui qui rêve.

– Les conflits, extérieurs ou internes, sont la grande source des rêves. En effet, un rêve exprime un état de tensions entre des forces opposées, et le souvenir d’un rêve apparaîtra dans la mesure où cet état de tension, renforcé par la production onirique est suffisamment important pour dépasser le seuil de conscience. Une scène vécue à l’origine d’un conflit apparaît généralement de façon déformée.

– Des personnages issus du passé apparaissent soudain, alors qu’ils n’ont pas de présence particulière dans vos pensées du moment. Votre inconscient s’est enrichi des souvenirs de votre vie liés à ces personnes, même si cette évocation semble éloignée de vos préoccupations actuelles. Il convient de noter à ce sujet que tous les souvenirs vécus sont enregistrés, mémorisés une fois pour toute, constituant un terreau de souvenirs dans lequel l’inconscient puise à sa guise. Nous sommes parfois très étonnés de ces apparitions, nous demandant ce que vient faire dans un rêve tel personnage dont le souvenir était en apparence tombé dans l’oubli et ne vous était pas venu au conscient depuis très longtemps !

– Des évènements collectifs ayant eu un fort impact émotionnel vont se retrouver dans les rêves assez rapidement. Les raisons sont de deux ordres : d’une part, les catastrophes humaines entrent en résonance avec des peurs inhérentes à la condition humaine (peur de l’engloutissement, de l’anéantissement, de l’effondrement), et avec sa fragilité. D’autre part, la propagation de la nouvelle au niveau mondial entraine une amplification, qui permet une rapide appropriation par l’inconscient collectif.

– Une expérience traumatisante peut bien sûr apparaître en rêve, de façon répétitive, et sous toutes ses formes : parfois non déformée, on revoit la scène se dérouler, dans tous les détails, parfois sous d’autres points de vue, ou avec des images différentes. Le psychisme travaille à assimiler l’évènement, à l’incorporer.

Et bien sûr, tous les ‘résidus diurnes’ évoqués plus haut.

L’étrangeté du rêve

Des scènes étranges ou impossibles et des scènes familières coexistent, le mécanisme onirique n’ayant nullement peur de l’incongruïté, ni du surnaturel. Des déformations, des transformations ont lieu, dont le rêveur ne s’offusque pas du tout ! Toutes sortes d’anachronismes sont mis en scène, sans aucune limite. Il n’est pas rare de se voir en rêve à un âge différent du sien : ainsi, un rêveur peut avoir dans un rêve l’âge de son propre enfant ! Le rêve peut mettre en scène les parents du rêveur à un âge où il ne les a pas connus. Il arrive qu’un animal se transforme en un autre, ou prenne une autre apparence. On se trouve dans une maison qui est un « chez moi » mais qui ne ressemble pas du tout à l’appartement réel. Il est pourtant familier, c’est bien « chez moi » mais je ne reconnais aucun détail de la réalité !

Ce sont ces déformations, ces étrangetés qui nous rendent nos rêves si attachants : ils n’appartiennent qu’à nous, sont le fruit de notre seule imagination (bien qu’échappant totalement à notre volonté), sont le reflet de quelque chose qui nous semble puissant, fortement chargé en énergie, ayant un impact émotionnel fort.

Comment s’interprète un rêve en analyse ?

Un rêve ne s’interprète pas de l’extérieur, par le maniement savant de symboles universels.

C’est par l’interaction entre le rêveur rapportant son rêve et l’analyste à l’écoute que se dessinent petit à petit des pistes. Ne sont validées que celles qui font écho chez le rêveur, qui provoquent son émotion, son assentiment par le ressenti.

Chaque élément du rêve appartient à l’univers psychique du rêveur.

Ce sont des associations d’idées, de souvenirs, d’évènements, stimulés par les questions de l’analyste, qui donnent une lecture du rêve. L’amplification des ces éléments permet d’activer, d’amener au conscient d’autres productions psychiques associées.

Ouvrages :

S.Freud :L’interprétation des rêves, Freud, 1900

Jung : L’analyse des rêves, notes de séminaires, Albin Michel

Pour travailler sur vos rêves : le dictionnaire des symboles sous la direction de J.Chevalier et A.Gheerbrant Collections bouquins PUF.

L’écoute

L’analysant vient au cabinet de l’analyste pour y trouver une qualité d’écoute particulière.

L’écoute psychanalytique est le fruit d’une disponibilité, d’une attention, d’une présence à l’autre.

En tant que telle, cette écoute-là a un effet thérapeutique.

Elle accueille la parole de l’analysant dans ses dimensions de souffrance et de doute et aussi dans sa dimension de l’indicible, de l’impensé.

L’analysant énonce dans le cabinet de l’analyste, ce qui ne peut s’énoncer ailleurs.  Sa parole s’élève, grandissante, pour construire l’unicité de son histoire.

Il s’interroge sur la source de ses symptômes qui l’inhibent et dont il ne se défait pas. Il vient au travers de cette écoute chercher à résoudre cette énigme : Pourquoi souffrir tant? Comment souffrir moins ?

La dynamique de la relation analytique implique de se situer dans une profondeur, par-delà tout discours préfabriqué. L’analysant sent intuitivement qu’il peut être écouté au-delà de ce qu’il énonce. Il se pose en tant que sujet de son discours. Il peut laisser de côté le semblant, le faux, le paraître. Pour laisser son être s’exprimer, dans ce qu’il a de beau, et dans ce qu’il a de honteux, parfois.

La parole s’ouvre à une interprétation, une logique autre.

L’écoute dans l’espace de confiance avec l’analyste permet à l’analysant de se libérer des conditionnements de pensée pour laisser place à une autre vérité. Il accepte petit à petit de laisser venir ce qu’il avait occulté, mis dans l’ombre, ou carrément oublié.

Cette écoute-là suppose un entre-deux, une distance. Cette ferme et juste distance structure la parole de l’inconscient. Il peut se dire car il est protégé dans cette dimension analytique, faite de confiance et de réserve.

Le temps de l’écoute est un espace-temps, réservé à l’expression de ses vécus, où l’histoire personnelle du sujet se décline, se déploie. Dans l’espace mémoriel situé entre les deux, l’analysant et l’analyste, l’analysant vient dénouer, au fil des séances, les fortes identifications qui l’empêchent d’évoluer vers ce qu’il a envie d’être.

La parole et l’écoute arrivent en contrepoint des silences : silence des traumas, non-dits de l’enfance, secret de la souffrance. Briser le silence progressivement, comme un besoin d’exister autrement, de reprendre part à ce qu’on advient.

L’écoute est un art.

 

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