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C’est l’amour de soi, en excès ou en défaillance.
L’individu possédant un narcissisme correct et mesuré, s’aime assez pour se sentir en confiance dans les actions de sa vie, se sent sécurisé dans les entreprises qu’il mène, connaît une estime de soi suffisante pour mener à bien des projets. Egalement il sait aimer et se sentir aimé, sans frustration ni sentiment de toute-puissance. Il peut donner et recevoir. Il est capable de vivre un deuil, une rupture, sans se désorganiser, sans s’anéantir. Il rebondit après les coups durs, se reconstruit après un vacillement. Il est sensible, mais sans excès aux marques d’attention et a besoin de la reconnaissance d’autrui, mais sans dépendance.

Narcissisme et trouble narcissique

Le narcissisme

Le narcissisme, au sens ordinaire, est un amour quasi exclusif que l’on se porte à soi-même. Au sens psychanalytique, le narcissisme est un moment de l’évolution psycho-sexuelle au cours duquel l’enfant se prend lui-même comme objet d’amour.

Dans un sens plus élargi et plus actuel, la notion de narcissisme apparait comme un amour de soi, nécessaire, positif, et qui peut être équilibré.

Cependant, il arrive fréquemment que, dès qu’on parle d’un comportement narcissique, on décrive en fait un amour de soi-même excessif, ou au contraire, une mésestime de soi, aboutissant la plupart du temps, dans les deux cas, à une défaillance dans l’amour d’autrui et à un besoin de réassurance permanente.

L’individu possédant un narcissisme correct et suffisant, se connait bien et s’aime assez pour se sentir en confiance dans les actions de sa vie, pour se sentir sécurisé dans les entreprises qu’il mène. Il connaît une bonne estime de soi lui permettant de se réaliser, et de mener à bien ses projets de vie. Il sait aimer et se sentir aimé, sans frustration ni sentiment de toute-puissance. Il peut donner et recevoir. Il est capable de vivre un deuil, une rupture, sans se désorganiser, sans s’anéantir. Il rebondit après les coups durs, se reconstruit après un vacillement. Il est sensible, mais sans excès, aux marques d’attention. Il  a besoin de la reconnaissance d’autrui, mais sans dépendance.

Aux côtés de ce narcissisme bien-portant, se trouvent de nombreuses anomalies de l’amour de soi, dont tout un chacun souffre un jour ou l’autre. En effet, le développement du narcissisme, composante essentielle du psychisme, ne s’accomplit pas sans heurts.

Il existe deux catégories de pathologies narcissiques: soit l’excès d’amour de soi, avec ses composantes d’égoïsme, d’absence d’empathie, de superficialité dans les sentiments pour autrui. Soit l’insuffisance de narcissisme, issue de blessures dans l’estime de soi, de manques affectifs jamais comblés. Les deux proviennent du même manque de constance et de solidité dans la mise en place de l’amour de soi.

Description d’un trouble narcissique typique

Le trouble narcissique est le fait d’une insuffisance dans la construction de son narcissisme. Cette défaillance apporte des doutes récurrents sur sa capacité à être aimé, et un besoin constant d’être rassuré, comblé par les regards des autres. L’excès de demande d’attention et de reconnaissance, la frustration extrême voire l’impossibilité d’entendre la moindre critique, sont les grands signes des fragiles narcissiques. La critique engendre de leur part emportement, colère, rejet.  Car elle les désorganise totalement. C’est le risque de chaos.

Il y aura fuite, si les critiques sont trop vives. Le narcissique ainsi va voguer de relations (amicales, amoureuses) en relations, car, au moment où ce qu’il voit de lui dans les regards des autres n’est plus positif, il fuit. Ensuite, il reconstitue un nouvel entourage, qu’il séduit dans un premier temps, puis déçoit à nouveau, entrainant une nouvelle fuite de sa part. Car il ne peut supporter de se voir en négatif dans le regard d’autrui.

Le narcissique promet d’aimer, mais ne peut aimer, ne s’aimant pas assez lui-même.

Il est absent à la souffrance de son entourage, qu’il malmène, sans remords ni culpabilité, en général. Car, ayant peu d’empathie, il peut mettre de côté ses états d’âme éventuels, s’il estime son intérêt personnel ou son plaisir à lui, en jeu.

Il est préoccupé avant tout de son image, du reflet qu’il voit dans l’œil d’autrui.

« Il exige constamment que l’on s’intéresse à lui, qu’on lui renvoie une image flatteuse. »1
Que sais-je ? le narcissisme, Paul Denis, 2012,  page 11

 Les causes d’une faille narcissique

Chaque histoire est unique, aucune cause précise n’engendre tel ou tel effet. De multiples facteurs, de nombreuses influences sont à l’origine de ce qu’on devient un jour.

Il est possible cependant de mentionner que certains ingrédients ont une influence néfaste sur la construction psychique et conduisent à établir une faille narcissique.

Lorsqu’un des parents, par exemple, encense la plupart du temps son enfant, mais le dénigre à d’autres moments : l’enfant est alors extrêmement blessé, et n’aura de cesse de satisfaire à nouveau pleinement ce parent tout à coup mécontent. Il n’aura pas les leviers cependant, pour le faire, et sera lui-même toujours persuadé de n’être pas à la hauteur de certaines exigences.

Toute situation où l’un des parents utilise son enfant comme un objet devant satisfaire son propre narcissisme : toute éducation ayant pour but de valoriser le parent, n’aura d’autre effet que rendre l’enfant dépendant, non construit individuellement, au narcissisme immature. Il existe aussi des situations où l’enfant ressent que l’un de ses parents n’est jamais content de lui. Ou ne s’intéresse guère à lui…

La construction du narcissisme selon Freud

  • Le narcissisme primaire a été introduit par Freud assez tardivement, comme un échelon nouveau dans sa théorie du développement psycho-sexuel.

Entre l’auto-érotisme, phase où l’énergie d’investissement (libido) n’est pas encore tournée vers l’extérieur mais reste concentrée sur les différents plaisirs corporels et sensitifs du premier âge, et l’amour objectal, où l’autre apparaît comme objet d’amour possible, se situe selon Freud le stade du narcissisme primaire : L’objet d’amour investi alors n’est pas une personne extérieure, mais soi-même. La libido est déjà concentré, les pulsions partielles fusionnent en un tout, d’abord  dirigé vers soi, avant, normalement, de se diriger vers une puis plusieurs personnes extérieures. En premier lieu, la personne dispensatrice des soins, bien sûr.

Freud introduit l’idée d’un conflit entre la libido du Moi, et la libido d’objet.

Le Moi primaire est encore indifférencié, tout juste sorti du ça.

  • Dans un second temps, une autre phase d’investissement du Moi, dit narcissisme secondaire, va apparaître, dans la phase de la libido d’objet.

En effet, la libido investit les objets d’amour extérieurs et ensuite , retourne au  Moi, enrichie des images, des représentations, des figures auxquelles elle s’est identifiée. Le Moi se renforce ainsi grâce à des objets extérieurs intériorisés. Ces introjections alimentent le Moi, lui permettant petit à petit de créer une maitrise sur l’extérieur, un mouvement entre obéir et résister, s’assouplir ou se durcir, prendre et rejeter….

 La construction de l’estime de soi

Ainsi l’identité se crée par tâtonnements entre l’investissement pour l’ extérieur et la réassurance intérieure, entre l’amour des autres et l’amour de soi.

L’enjeu identitaire est à la fois de s’inclure parmi les autres et de se différencier suffisamment pour se caractériser comme un être unique. Difficile équilibre entre les deux tendances. Personne ne veut «être comme tout le monde » et chacun se satisfait à décrire ses pseudo-particularités, et en même temps, personne ne supporte l’idée de l’exclusion, du « trop-différent ».

Mais toute la libido ne s’investit pas dans les objets extérieurs, même ensuite :Une partie de l’énergie d’amour reste investie dans le Moi, et constituera l’estime de soi. Cette estime de soi correspond en fait à l’Idéal du Moi, construit au fil des représentations et des valeurs. Les désirs n’entrant pas en conformité avec cet Idéal sont refoulés, et ainsi le fort narcissisme de l’enfance peut se reconstituer.

Un certain nombre de personnes ont investi leur Moi de façon tellement importante, car elles ont fixé leur libido à un stade du narcissisme infantile, que leur besoin de se voir briller dans le regard des autres supplante leur capacité de s’intéresser à quelqu’un d’autre de façon « gratuite » sans en attendre un retour en investissement d’amour.

Les troubles du narcissisme

Voioci les caractéristiques principales des défaillances du narcissisme:

  • le sentiment de toute-puissance

Un excès d’estime de soi entraine une apparence de toute puissance, de supériorité, voire d’arrogance, difficilement soutenables pour l’entourage.

Cette fatuité, ce gonflement du Moi, cette inflation autour de sa propre personne et de ses prouesses jamais suffisamment détaillées, sont les marques de reconnaissance d’un être fragile narcissiquement en recherche perpétuelle de réassurance, de preuves d’attention.  Cela masque un manque de confiance en soi, des doutes sur ses compétences, sur ses capacités à être aimé et un manque de connaissance de soi, précisément.

  • la désorganisation psychique

Obnubilé par le souci de plaire, le narcissique blessé se construit souvent ce que l’on nomme un « faux-self », c’est-à-dire une apparence d’affects et de comportements destinée à se faire aimer. Toute tentative de l’extérieur venant déstabiliser ce masque sera vécue comme extrêmement angoissante. Cette angoisse vise à protéger alors le Moi contre de graves dangers de morcellement, de gêne extrême, de difficulté à se sentir exister…

Autrement dit, tout ce que protège le Narcisse est un Moi faible, en danger, mal structuré.

  • la dépression

Si l’individu narcissiquement fragile est blessé par des vécus humiliants, ou des situations de trahison, d’abandon, il risque de vider son Moi de tout désir d’investissement. Il peut alors entrer dans une phase dépressive contraire à l’exaltation issue de la toute-puissance.

Le Moi fragile aura des difficultés à vivre les ruptures,  se sentant en grande solitude, sans le support qui le rehaussait narcissiquement.

Quel est le rapport de notre société avec le narcissisme ?

Il a été beaucoup dit que notre société valorise le narcissisme. Le culte de la performance et la dictature de l’efficacité entrainent l’individu contemporain à se montrer égoïste, et favorise un esprit de  compétition inhumain et cruel. Mais la course à la perfection ne fait que renforcer les failles narcissiques. En effet, pour correspondre à une image survalorisée et définie par l’extérieur, il faut sacrifier son propre être et s’en éloigner. Cela aboutit à une perte de sens, et une insatisfaction en profondeur. Le narcissisme est dans ce cas défini négativement, synonyme de repli sur soi et de rejet de l’autre.

Cependant, le narcissisme, dans son acception positive, est au contraire à réhabiliter, selon certains auteurs (Fabrice Midal ), qui estiment que cette notion a été mal interprétée, dévoyée. Il est nécessaire, pour ne pas se perdre définitivement dans la course effrénée dans laquelle nous sommes pris, de retrouver l’amour de soi qui nous fait exister en tant qu’individu et non rouage d’une machine. Chacune doit récupérer sa faculté à penser par soi-même, à construire son individualité, à élaborer sa vie.

Qu’appelle-t-on un pervers narcissique ?

C’est un degré supérieur du trouble du surinvestissement narcissique de soi-même ; le fait de perversion signifie prendre plaisir à l’objectisation de l’autre, qui peut aller jusqu’à jouir de sa destruction. C’est un cas très particulier, dont nous ne parlons pas ici, et qui est à ne pas confondre avec le simple trouble narcissique.

Comment réparer un narcissisme blessé ?

‘Connais-toi toi même’

Apprendre à se connaitre, appréhender ses propres rythmes, se réapproprier son histoire, trouver ses vraies sources de satisfaction, revenir à soi permettent de réparer un moi qui n’a pas construit un narcissisme équilibré.

La cure analytique permet de restaurer un narcissisme qui a subi une dégradation. Soit en raison d’un traumatisme actuel, soit sous l’effet de rejets et blessures répétées, dans l’enfance. Une désorganisation psychique s’ensuit, qui demande réparation, dans une thérapie, dont c’est le premier effet : reprendre une estime de soi suffisante, pour continuer le chemin.

La dégradation du narcissisme, est une forme très grave d’atteinte psychique qui peut entrainer des effets pathologiques importants. La dépression, les addictions, peuvent être des symptômes de cette dévastation, et sont à prendre très au sérieux.

Lectures :

Sigmund Freud : Pour introduire le narcissisme.

Paul Denis : le narcissisme, que sais-je ? PUF

Fabrice Midal: Sauvez votre peau, devenez narcissiques

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L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.

L’estime de soi

On parle beaucoup de l’estime de soi, des ouvrages lui sont consacrés.
On en parle surtout pour dire qu’on en manque.
Sans doute parce que cette estime n’est pas facile à créer, à développer, et qu’elle est souvent malmenée, voire détériorée par la vie, l’éducation.
On en ressent le manque: mais comment définir, mesurer ce que serait le plein d’estime de soi ?

Avez-vous une bonne ou une mauvaise estime de vous ?

Essayons quelques questions :
• Etes vous affirmé dans votre vie, savez-vous dire non, vous opposer à quelqu’un ?
• Savez-vous aussi dire oui, avec détermination, pour vous lancer dans un projet, une nouvelle action, un nouveau partenariat ?
• Savez-vous déterminer, lister quelques-unes de vos qualités ?
• Avez-vous une confiance en vos compétences, une bonne opinion de vos talents, de votre physique, de votre intelligence ?
• Etes vous contents, lorsque vous avez agi, fait un travail, êtes vous satisfait de vous, de votre réalisation?
• Etes vous rassuré, quand vous vous préparez à une tâche, avec un enjeu ? savez vous mobiliser votre confiance en vos capacités à mener à bien le projet ?
• Vous acceptez-vous tel que vous êtes, sans jamais avoir envie de ressembler à une autre personne, admirée pour toutes ses qualités que vous estimeriez ne pas posséder vous-mêmes ?
• Vous connaissez vous bien, avez-vous fait un travail sur vous, êtes vous conscient de votre histoire, avec le sentiment d’un socle solide ?
• Avez-vous un sentiment de fierté vis-à-vis de vous-mêmes, ou de votre famille ?
• Acceptez vous vos défauts comme faisant partie de vous, sans honte, ni gêne, ni déni ? les reliez vous à vos qualités, en disant : ça forme un tout ?
• Vous sentez vous capables de vous améliorer dans ce que sont vos points faibles, et de développer vos qualités ?

Ces questions peuvent vous amener à estimer… votre estime de vous !
Si vous avez répondu oui à une majorité de questions : vous avez donc une bonne estime de vous-même.
Par contre, si vous répondez en majorité non aux questions ci-dessus : vous pouvez vous ranger parmi les personnes doutant d’elles-mêmes et à faible estime de soi.

Alors, quand disons nous : j’ai une bonne estime de moi ?

Qu’est ce que l’estime de soi ?

Disons pour commencer, qu’une bonne estime de soi est une question de mesure et d’équilibre.
S’estimer, c’est s’aimer suffisamment, lucidement, sans excès de narcissisme. C’est se sentir digne de respect, et se défendre contre le manque de respect lorsqu’on y est confronté.

Avoir une bonne estime de soi, c’est aussi se sentir bien avec soi, se considérer positivement, en ayant fait le tour de qui on est. Sans se raconter d’histoires, ni se croire au-dessus, ni se penser au-dessous.
C’est savoir mettre en valeur la personne que l’on est, sans se comparer à d’autres, sans dévaloriser ni écraser de mépris les congénères !

Et enfin, c’est aussi agir avec une confiance correcte en ses moyens d’actions, et ne pas craindre de transformer son potentiel en action.
C’est se projeter avec une bonne opinion des capacités que l’on souhaite mobiliser et confiance en elles.

Ainsi l’estime de soi permet d’agir. Ceux qui sont bloqués dans leur capacité d’action ont souvent une faible estime d’eux-mêmes.

A quoi mène une mauvaise estime de soi ?

Inhibition de l’action.
Dans l’action, le sujet à faible estime de soi se pose de nombreuses questions : vais-je réussir ?suis-je fait pour cela ? est-ce que quelqu’un d’autre ne serait pas meilleur à ma place ? dois-je commencer maintenant ou plus tard ? est-ce que j’y vais ou je me prépare encore un peu ?
L’action est souvent inhibée. Le doute envahit et bloque le mouvement.

Frustrations
Le sujet en mauvaise estime de lui se sent dévalorisé, incapable de changer, de donner un nouveau cours à sa vie. il est en permanence dans la frustration de ne pas vivre la vie qu’il voudrait.

Soumission
Plus insidieusement, la faible estime de soi peut entrainer l’acceptation d’une situation désastreuse. Subir une relation destructrice, parfois sans s’en rendre compte, rester dans un emploi médiocre. Cela peut aboutir à ne plus se donner  suffisamment de valeur pour songer à changer quoi que ce soit à sa vie, et conduit de fait à accepter l’inacceptable.

Pourquoi avoir une mauvaise estime de soi?

Les causes d’un manque d’estime de soi sont liées à l’éducation, au rôle de l’entourage, familial ou scolaire, parfois.
Si on remonte dans l’enfance :
Souvent, de mauvaises appréciations répétées, des brimades, des colères autour de l’enfant, qui se culpabilise et se rend responsable de ce qui ne va pas.
Mais aussi un manque de stimulation, une sorte d’indifférence de la part de l’entourage, le sentiment d’occuper une place un peu transparente.
Une culpabilité liée à une situation mal acceptée : parents en conflit, déséquilibre familial, secret, silences etc.
Un choc, un grand changement, une instabilité, un sentiment d’abandon agisssent aussi directement sur l’estime de soi.
Le manque d’autonomie accordée à l’enfant, la faible transmission des apprentissages, le frein mis à le laisser vivre des expériences.

L’effet négatif enfin de la grande admiration pour l’enfant, proférée de façon excessive et non réaliste, quand elle n’est pas fondée sur de réelles qualités mises en oeuvre et les efforts couronnés de succès.

 

Il y a aussi un aspect social au manque d’estime généralisé.
Nous baignons dans un ensemble de conditionnements et de lieux communs, qui ne facilitent pas la prise de conscience de sa valeur.
Par exemple, le terme échec, trop souvent attribué à toute action ne donnant pas un résultat tel qu’on l’imaginait.

Une dépréciation de soi et une mauvaise image résultent des difficultés, des ralentissements, des baisses de motivation, etc… que chacun, pourtant, traverse dans sa vie. Les phases de burn out,les besoins de faire une pause, les désirs de changement de vie, les choix personnels et non uniquement guidés par la raison sont  quasiment vécus dans la honte. Une société très individualiste telle que la nôtre s’enferme sur un grand nombre de diktats non-dits et arbitraires inhibant l’initiative individuelle.
Autre exemple : Par peur et repli général, rares sont les milieux professionnels acceptant de faire confiance, simplement, à quelqu’un. Chaque candidat à l’emploi doit montrer patte blanche, polir un CV impeccable, justifier le moindre changement, le plus petit flottement…

Comment augmenter son estime de soi ?

Certains psychologues, comme Alfred Adler, pensent que l’individu ressent naturellement un complexe d’infériorité, depuis la petite enfance, grâce auquel il cherche à grandir, évoluer, s’améliorer. En effet, poussé par ce sentiment d’être inférieur, chaque individu accomplit multiples apprentissages et efforts pour être à la hauteur de ses objectifs, pour agir, se mouvoir, s’élever.
Autrement dit, l’estime de soi n’est pas innée, elle est à conquérir.
Il est illusoire de penser qu’elle est acquise une fois pour toutes. Une tâche accomplie, on est content. Un nouveau travail, et on remet en question sa compétence, on rétrograde un peu, pour accomplir les efforts indispensables.
L’estime de soi est fluctuante : elle peut varier d’un moment à l’autre, d’un enjeu à l’autre. Elle est un travail permanent. Il faut l’alimenter, s’en occuper, sinon il sera difficile de la maintenir à un bon niveau.
Pour veiller à un maintien correct de l’estime de soi, il faudrait considérer les sentiments d’insuffisance, d’imperfection, non comme des faiblesses, mais au contraire comme des moteurs pour aller de l’avant, pour atteindre un objectif.
Veiller à ce que ces sentiments ne soient pas soumis aux assauts de la culpabilité par exemple ou de la frustration. Par exemple, ne pas se fixer sur une idée contraignante et illusoire d’un idéal très élevé et inatteignable, car non réaliste.

L’estime de soi est liée au sentiment d’amour que l’on reçoit. Bien sur, si on ne se sent pas aimé, on peut difficilement s’estimer.
L’estime de soi grandit dans l’éducation, destinée à rendre socialement aimable, compétent, adapté aux codes existants.

Ainsi on pourrait dire que pour augmenter son estime de soi, un travail est nécessaire sur plusieurs plans :

-le rapport à soi : apprendre à se connaître, se regarder, réfléchir aux qualités et atouts que l’on a, faire un point sur le parcours accompli.
Faire une liste de ses désirs, ceux qui permettraient d’améliorer sa vie, et, en face, une liste des peurs à accomplir ces désirs. Et aussi apprendre à reconnaitre ses besoins profonds, et ce que l’on apprécie en terme d’équilibre de vie. Se reconnaitre, comme individu parmi les autres, avec ses spécificités, ses particularités, avec sa propre histoire, son parcours différent.

-le rapport aux autres : soigner son relationnel, regarder les autres, apprendre aussi à mieux les écouter, les connaître, s’occuper du lien avec eux.

-le rapport à l’action : réfléchir aux blocages, aux immobilismes, aux freins. Se dégager des croyances inhibant l’action, s’il y en a : tu n’y arriveras pas, c’est difficile, la filière est bouchée, tu n’es pas assez bien, etc. Accepter les erreurs, les siennes, et celles des autres.

Le développement de sa personne est un travail, une lente appropriation d’équilibre et de sagesse.

Il peut être nécessaire de se faire aider pour cela.

Bibliographie :
Christophe André, François Lelord : L’Estime de soi
Alfred Adler : Le sens de la vie