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La réalité psychique

Nous pouvons tenter de définir la réalité psychique, à partir des trois modes que sont le réel, l’imaginaire et le symbolique, reprenant ainsi l’approche de Lacan.

Quand il y a une souplesse d’échanges articulés entre ces trois registres, on peut parler de fonctionnement psychique satisfaisant. Si l’équilibre est perdu, un mal-être ira grandissant. Le travail analytique consiste à activer les interactions psychiques pour que les trois niveaux collaborent et s’harmonisent mutuellement.

Le réel se définit dans ses rapports aux deux registres : celui du symbolique et celui de l’imaginaire, avec lesquels  il forme structure , par lesquels il peut être approché, pensé, élaboré ensuite.

S’il n’est pas structuré au sein du symbolique et de l’imaginaire, le réel ne peut pas s’appréhender. Il est alors informe, impensé. Il est ‘l’objet d’angoisse par excellence.’ Ce n’est même pas l’inconnu, c’est le ‘non-reconnu’. Tant qu’il n’est pas relié, mis en mots, donc intégré, tant qu’il reste inommé, il est l’impossible, générateur d’une souffrance absolue, et indicible. Il est un point aveugle du psychisme, il  relève de la crypte de l’inconscient.  Il est l’impossible à dire, car l’impensé. L’angoisse absolue.

Le réel est, par exemple, ce que l’enfant vit et ne peut se représenter, saisi par l’effroi, sidéré par l’inconnu faisant effraction. En d’autres termes, on l’appelle trauma. Un trauma vécu sans mots, sans élaboration psychique, sans possibilité de représentation.

Pour être intégré, le réel s’appuie sur le symbolique, constitué des mots, des différentes représentations, de la comparaison, des histoires d’autrui. Le réel est alors tenu, maintenu, porté par le symbolique, devient supportable de ce fait. Avec le symbolique, le réel peut s’intégrer, s’incarner psychiquement. Le symbolique travaille le réel jusqu’à le transformer en quelque chose de possible.

S’il ne peut pas être intégré, s’instaure un clivage de la personnalité. Il peut alors faire irruption de façon fracassante, peut devenir délire, hallucination. Il s’impose d’autant plus qu’il n’est pas pensé. Il surgit là où on ne le voit pas, précisément. Il enferme le sujet dans la répétition. Il est ‘la mauvaise rencontre’. Le sujet vient toujours buter sur lui, tant qu’il ne l’a pas ‘travaillé’. N’étant pas symbolisé, le réel s’impose sous forme d’acting, de passages à l’acte, d’agir pulsionnel, de compulsion de reproduction des mêmes scénarii, de somatisation.  Le corps agit là où le psychisme n’a pu mettre des mots.

Le travail psychique contribue à intégrer le réel dans l’inconscient, sans quoi il est encrypté, fossilisé, Il devient alors un point aveugle, qui rend aveugle à ce que l’on vit ‘réellement’, organisant les répétitions de fonctionnement.

Le premier réel qui nous est donné de vivre est le traumatisme de la naissance, passage de l’état de fœtus entouré de l’enveloppe utérine, à l’état de nouveau-né, dans la dureté de l’air, des sons, et des lumières, de ce soudain réel non tamisé, non filtré. Privé à tout jamais de la matrice ultra protectrice, le bébé est assailli d’angoisses, et de frustration, qui l’envahissent sur un mode hallucinatoire. Petit à petit, ces angoisses s’atténuent, grâce à l’entourage qui ne s’affole pas, reste calme, accueillant, trouve cela ‘normal’. Les mots et les gestes de l’entourage constituent un premier rempart contre la psychose hallucinatoire qui l’envahit. Puis, l’accès au symbolique par les premiers mots, les premières représentations qui remplacent le ‘pas-présent’, permettra d’intégrer le réel, d’accepter la perte fondatrice, et les autres, les absences, les insuffisances, laissant apparaitre le désir : celui d’explorer le monde alentour, de parler, de marcher, de grandir dans ce monde.

Il en est ainsi de tous les processus d’intégration psychique du réel, au cours de la vie. L’acceptation se réalise par la symbolisation que sont la mise en mots de l’émotionnel, la verbalisation du vécu et par l’imaginaire qui permet de s’extraire pour envisager autre chose.   Ainsi, le sujet remplace toute perte par la nostalgie. Et peut s’acheminer vers d’autres investissements.

La discontinuité créée par l’expérience du manque contribue à créer un décalage, une inadéquation. Tant qu’il ne peut saisir le monde par les mots, le sujet est soumis à son manque-à-être. La continuité de la vie psychique est assurée par l’intermédiaire de la symbolisation, qui intervient précisément pour combler ce manque. Elle intègre le signifié par l’intermédiaire de sa représentation qu’est le signifiant.

Selon cette conception, le langage a la primauté sur l’être, le langage construit le sujet.

Le réel c’est l’impossible dit Lacan et il est même impossible à définir. Est-ce la part de l’inconscient à laquelle  le sujet n’a jamais accès ? il n’est repérable, ce réel, que s’il est combiné comme on l’a vu, au symbolique et à l’imaginaire.

Le registre de l’imaginaire est le siège des ‘images,’ des identifications, des leurres, des rêves produits par l’imagination. C’est une première étape pour sortir du réel, pour accepter de le vivre. C’est de la projection faite sur autrui, sur le monde extérieur. Nous voyons l’extérieur au travers du prisme de notre vision imaginaire du monde. Autrement dit, c’est le registre du moi, dans ce qu’il a élaboré, construit, au travers de ses fictions, de ses croyances, de ses attentes, de ses espérances, de ses modèles effecteurs. Avec sa dose de refoulé, de méconnaissance. C’est aussi le domaine de l’amour, des sentiments, de l’ambivalence de ceux-ci. C’est également le domaine des jalousies, des comparaisons, de l’agressivité, constitutifs des efforts réalisés pour tenir sa place dans la relation à l’autre. C’est l’imitation, le faire semblant, la capacité de se représenter une partie de la réalité. C’est bien sur ce qui permet de compenser les pertes, de réparer les frustrations, de vivre les deuils, de fuir les conflits intérieurs en se projetant imaginairement dans un monde irréel, bienfaisant, nourricier. Il permet de donner sens à nos investissements par les représentations et  les symbolisations. ‘L’imaginaire permet de pouvoir différer le plaisir, en le rêvant ‘ (1) Il est le registre du plaisir espéré, permettant de s’investir dans les activités, les relations, les apprentissages, de faire des choix de vie. C’est le désir qui se mobilise pour accepter de faire les efforts et vivre les difficultés liés à toutes nos entreprises.

L’imaginaire se construit en premier lieu au stade du miroir, stade du narcissisme primaire. Auparavant, l’enfant ne se différencie pas du monde extérieur, il fait un avec tout. Puis, au stade où il se reconnait dans le miroir, il voit non pas lui, entièrement, tel que lui, mais lui, au travers de l’image de son corps, comme s’il était un autre. Il regarde alors l’adulte présent, dans un moment de jubilation, car c’est au travers de l’encouragement et du regard de l’autre, qu’il prend conscience que cette image est lui. Ainsi est préfiguré ce besoin chez tout être humain de se repérer dans les yeux de l’autre, pour s’évaluer. Et la difficulté à se connaitre, cette connaissance ne pouvant qu’être partielle, illusoire, au travers de l’image que l’on perçoit de soi, et donne  à voir à soi-même et aux autres.

Le registre de l’imaginaire est donc tout ce que produit le sujet pour aménager sa réalité à vivre et le réel. Il est aussi constitué des histoires que l’on se raconte, de toutes les déformations dues à notre point de vue partial, de tout ce qu’on a voulu voir et amplifier et aussi de tout ce qu’on n’a pas voulu voir, ni savoir.

L’imaginaire vit sous la contrainte du monde extérieur. Préoccupé de l’image à donner et de la place à occuper, l’imaginaire contraint, limite l’accès au réel, voire le censure totalement.

Grâce au symbolique le réel est désenglué de l’imaginaire. Le symbolique permet l’approche du réel, et sa distinction d’avec l’imaginaire.

Le symbolique est la représentation mentale qui remplace ce qui est absent. Autrement dit, la symbolisation permet la mise à distance d’avec le manque, de remettre à plus tard l’obtention de la satisfaction, et de vivre l’échange avec les autres. La fonction symbolique est le tiers séparateur qui permet de se différencier de l’assimilation avec tout, et donc d’exister en tant que sujet autonome, en relation avec d’autres sujets autonomes. Ce sont les grandes lois qui régissent une civilisation, tel que l’interdit de l’inceste, l’interdit de tuer, l’ordre générationnel, les codes sociaux, communautaires et leur intégration, sublimation, transmission. Le symbolique permet de ‘civiliser’ l’inconscient, de diminuer le pulsionnel en le canalisant.

Le langage, le jeu, l’imitation et la représentation mentale sont les principaux fondateurs de l’accès au symbolique chez le sujet en devenir.

‘Au principe même du désir humain, le réel existe et se noue au symbolique grâce à l’imaginaire.’ (2)

On voit à quel point les trois registres en interaction forment un équilibre créateur. Et à quel point, si l’un domine, un déséquilibre dangereux s’ensuit.

Si  l’imaginaire est trop puissant, non endigué par la symbolisation (la structure parentale pour un enfant, qui constitue la loi symbolique fondamentale par exemple) alors il y aura inhibition de la fonction imaginaire, par crainte du débordement, de la ‘folie’ imaginative.

Si le réel s’introduit sans médiation par l’imaginaire et le symbolique, il est pure angoisse.

Si le symbolique fait défaut, tout l’édifice est à l’arrêt.

Le travail psychique d’une cure, grâce au maniement du symbolique et à l’exploration des mécanismes du moi, contribue d’un part à une intégration du réel, et permet d’éviter son intrusion et l’effroi d’angoisse qui l’accompagne. Et d’autre part à un détachement de l’identification à son ‘moi’ imaginaire.

Ainsi créant la possibilité d’interactions entre les trois ordres, et l’activation des possibilités créatrices du sujet, qui se libère de ses représentations inhibitrices (‘moi’ fort), et de son réel non symbolisé (inconscient aux commandes).

(1) et (2°) article de Jeannine Duval Héraudet: Une articulation entre le réel, l’imaginaire et le symbolique, le nœud borroméen.

 

 

 

 

 

La mémoire inconsciente

La mémoire se divise en deux compartiments

La mémoire explicite, constituée des souvenirs anciens et récents accessibles à la conscience divisée en : Mémoire à court terme, Mémoire à long terme.

Cette mémoire permet de raconter, de relater des évènements de vie (mémoire épisodique ou auto-biographique). Elle comprend également le savoir, les connaissances et concepts dont s’est enrichie la pensée, les outils de la réflexion abstraite (mémoire sémantique)

La mémoire implicite, elle, n’est pas directement accessible. Elle est composée de tout ce dont nous nous rappelons, sans nous en souvenir.

Un grand nombre de souvenirs sont entrés dans l’Inconscient, pour toujours. Ainsi en est-il, la plupart du temps, des vécus de la petite enfance, avant l’âge de 7 ans. Rares sont ceux dont la remémoration est possible. C’est l’amnésie infantile. Or, ces souvenirs ne sont pas effacés. Présent en nous, leur contenu émotionnel et refoulé agit sur nos fonctionnements à notre insu. Ces réminiscences actives constituent le ferment de nos actions, et ont laissé des traces durables, indélébiles. Chargées affectivement, elles apparaissent dans nos symptômes, dans nos actes manqués, dans les motivations en profondeur de nos actes. Elles sont aussi dans nos rêves.

Ainsi, chaque nuit, nous nous rappelons à notre insu notre passé sans nous en souvenir. (Roland Gori)

Les goûts, les choix, les fonctionnements, les répétitions de comportements de l’âge adulte sont conditionnés en grande partie par ce refoulé, inaccessible directement à la conscience.

En effet, comment imaginer que ce terreau des premières sensations, des émotions fortes et chaotiques, de la gestion du pulsionnel infantile par l’entourage puisse ne pas laisser de traces en profondeur ?

Ces vécus oubliés mais non effacés, sont travaillés, transformés, et réactualisés par l’activité psychique, en permanence. Les résonances de ces traces mnésiques avec les évènements du présent  activent et brassent sans cesse leur chargement  affectif vivace. C’est ainsi que notre histoire ancienne, bien que partiellement ou complètement oubliée, œuvre dans l’ombre.

Le processus mémoriel soumet le matériau des souvenirs à des forces psychiques nombreuses, dont celle qui entraine l’oubli (refoulement).  L’oubli fait partie intrinsèque de la mémoire. Il en est un aspect, non une tare.

De plus, chaque nouvel évènement vécu et par conséquent mémorisé entraine une reformulation de l’ensemble.

Le travail psychique reconstruit les vécus mémorisés. Le souvenir est un reflet flou, imprécis et déformé du réel. Il est facile de constater par exemple qu’évoquant un évènement passé, nous nous voyons agir comme si nous étions extérieurs à nous-mêmes. Ceci montre que le psychisme ne reproduit pas le réel, mais en élabore une représentation.

Les neurosciences corroborent l’idée de l’empreinte émotionnelle des premières années de la vie. L’amygdale cérébrale est le centre de cette mémoire implicite, structure impliquée particulièrement au niveau émotionnel. Or, l’amygdale, la plus ancienne formation du cerveau (et la plus archaïque du point de vue de l’espèce) est en activité dans la petite enfance, bien avant les structures de la mémoire explicite ( dont l‘hippocampe) qui se construisent et deviennent matures les années suivantes. Ceci explique aussi pourquoi cette mémoire très ancienne est aussi vivace.

Dans la mémoire implicite se trouvent les sources des symptômes, des répétitions compulsives qui contiennent et enferment l’élan vers l’évolution personnelle.

La répétition existe tant que la pulsion refoulée ne trouve aucun écho dans le conscient. En effet, fixée à une période du développement infantile, la pulsion non élaborée car profondément remisée dans l’inconscient, ne s’est pas transformée, n’a pas trouvé de sortie symbolique. Elle  insiste donc, dans sa version archaïque, soumise à la contrainte du refoulement et voulant en même temps à tout prix se soulager. Elle se manifeste sous forme de retour à l’identique, laissant au sujet la désagréable impression d’un sur-place, sans que la volonté n’y puisse rien.

 La répétition est, elle aussi, une forme de mémoire. Elle est une manière de rappeler le passé par l’éternel retour du même… Elle présentifie une histoire sans souvenir (Marylin Corcos)

Toutes ces mémoires ont des connexions entre elles.

C’est la raison pour laquelle on peut agir sur les équilibres et libérer des mémoires inconscientes.

Ainsi, en psychanalyse, lever les secrets de la mémoire implicite entraine l’enrichissement de la mémoire explicite. Une partie des éléments refoulés transite par le seuil du conscient et entre en interaction avec les autres souvenirs déjà présents. La mémoire parcellaire du conscient se reconstitue de façon plus linéaire, des pans entiers restés dans l’ombre s’éclairent.

La répétition inconsciente laisse place à une construction pleine de sens, à un récit continu, donnant l’impression que des ‘morceaux du puzzle s’assemblent’ selon une formule souvent utilisée par les analysants. Cela correspond à un profond besoin chez l’humain de se repérer dans son histoire de vie, de considérer l’avant, pour envisager l’après. La mémoire autobiographique contribue à la symbolisation nécessaire pour dépasser les points de fixation dans l’histoire de vie.

Nos souvenirs sont en partie fantasmés, en partie oubliés, car ils font l’objet d’un travail psychique constant. Leur intégration dans les différentes mémoires et leur symbolisation contribuent à affirmer notre sentiment d’identité personnelle.

 

Références :

 Dans Cliniques méditerranéennes 2003/1 (no 67), p 100 – 108

Carnet PSY 2008/3 (n° 125), p. 32-35.

L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.

Revivre

Qu’est ce que revivre ?

C’est:

Répéter, reproduire le passé, comme si on y était. Ce revivre peut être un ressassement, prenant une allure d’obsession, engendrant souffrance, mélancolie, dû à un deuil qui ne finit pas, à un attachement qui ne veut pas lâcher, à une compulsion de répétition.

C’est aussi :

Renaître,  se renouveler, reparaitre, reprendre un cours de la vie, après une disparition, une dépression, une maladie, un retrait ou un isolement. C’est vivre A NOUVEAU. Se sentir neuf, retrouver son énergie, renouer avec soi. Reprendre la route, repartir.

Le premier revivre possède  une vertu thérapeutique au cours d’un travail psychothérapeutique ou analytique.

Il est alors un revivre permettant de re trouver toutes ces  émotions enfouies, ces souffrances exilées, cet abime en soi que l’on sent mais ne veut pas voir.

Ce revivre se traduit par la réminiscence d’une partie de mémoire inconsciente, des points de vue sur son histoire qu’on avait occultés, des pulsions refoulées.

Revivre un évènement traumatique ou des épisodes de vie difficiles, mettre sa mémoire  en mots pour la partager, et ainsi associer, comprendre, intégrer, comparer, élargir son champ de vision. C’est le travail psychique d’auto-guérison.  La force destructrice de l’émotion traumatisante diminue, laissant place petit à petit à une réparation  et un renouveau. Un réveil !

Ainsi revivre c’est :

Trouver dans le passé les ressorts qui poussent vers l’action de nouveau. Faire revenir le passé pour reprendre l’agir.

C’est cela l’enjeu du revivre.

Entre les deux,

D’une part retrouver le passé, comme si on y était, en ressentant à nouveau les émotions des situations revécues, en s’y plongeant

Et d’autre part, revivre à nouveau, se renouveler, renaître, par exemple après une maladie, ou un choc émotionnel, ou une dépression : je repars, je revis.

On peut avoir l’illusion dans ce cas que l’on ferait comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la vie redevenait comme avant.

Mais guérir n’est pas revenir comme avant. C’est au contraire une renonciation à un état antérieur, un passage à un état différent. La conscience lucide que guérir n’est pas revenir est une avancée vers la guérison, car c’est un pas vers cette renonciation.

La santé après la maladie n’est pas la santé antérieure. Le fait d’être guéri signifie ne plus avoir besoin du médicament, ou de la thérapie.

« Il n’y a pas de guérison sans un travail, sans une élaboration, sans un récit, une fiction précisément dans laquelle la personne est impliquée parce qu’il y a un JE » 1

Les deux sens du revivre sont deux axes de notre vie : entre les deux se situe une tension, qui fait que la vie prend un sens ou un autre, entre ces deux polarités, ces deux extrêmes qui se repoussent et s’attirent en même temps.

La thérapie favorise le lien entre ces ceux pôles, pour que la vie ne se cristallise par sur un passé perdu, ou une fuite en avant sans mémoire.

« Alors un revivre survient, qui délivre d’un autre, de celui qui obsédait, qui bloquait tout, sans qu’on le sache. » 2

Inspiration et citations

1  Alain EHRENBERG. La fatigue d’être soi. Dépression et société. Odile Jacob 2000

2  Frédéric WORMS : Revivre , Eprouver nos blessures et nos ressources. Flammarion 2012.