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L’addiction

Qu’est ce qu’une addiction  ou comportement addictif ?

Le terme « addiction » est devenu d’un usage très courant depuis quelques années. Il est utilisé pour désigner aussi bien les véritables pathologies toxicomaniaques (alcoolisme, toxico-dépendance, tabagisme, jeu pathologique, achats compulsifs etc..) que les multiples habitudes de vie de tout un chacun, dans un monde consumériste auquel il est difficile de ne pas succomber : On se dit tous addicts à quelque chose ou à un comportement, dans des cas où nous avons des habitudes, mais sans réelle dépendance, ni envahissement de toutes les sphères de la vie. Dans l’imaginaire, et les productions artistiques, ou commerciales, le mot addict est aussi largement usité, médiatisé. Même les objets, les substances, ou spectacles sont dits addictifs…

De nombreuses nuances recouvrent donc l’usage de ce terme d’addiction.

Origine du mot: addiction

Le mot provient du latin et signifie adjudication, à l’origine terme juridique médiéval: attribution d’une vente aux enchères d’un débiteur insolvable, contraint à vendre un bien pour honorer ses dettes.

Aujourd’hui, il signifie la dépendance à une substance, à un comportement..

L’origine étymologique nous offre, comme toujours, de quoi établir des ponts. Le terme recouvre la notion de contrainte, de dette, d’insolvabilité.

L’addiction, de fait, n’est-elle pas une contrainte d’un sujet sur lui-même, qui, quelles que soient les conséquences désastreuses, s’impose à lui exactement comme s’il était redevable, et devait payer un tribut, sans jamais éponger une dette toujours en cours ?

L’addiction est un processus selon lequel un comportement source de plaisir et soulageant un mal-être se répète, dont la répétition n’est plus maitrisée, en dépit des conséquences négatives, voire destructrices qu’il entraîne.

En termes de psycho-pathologie, la dépendance à un produit ou à un comportement devient dangereuse pour le sujet lorsqu’elle comprend plusieurs de ces caractéristiques :

– un sur-investissement : l’activité addictive occupe la majeure partie du temps, des pensées, des sentiments, et des préoccupations du sujet, jusqu’à parfois être omniprésente, et aboutissant au rétrécissement, voire à l’annulation de ses autres investissements.

– une accoutumance entraînant la souffrance du manque: le sujet ne peut pas vivre une journée sans le produit, ou le comportement, car la privation entraîne une sensation de manque angoissant, un malaise physique insupportable, calmé uniquement par le recours à la substance ou au comportement, seul soulagement possible.

-un refoulement de la conscience du danger : le conflit entre les pressions exercées par l’entourage, l’extérieur, et le besoin de satisfaire l’addiction, entraîne une culpabilité, une souffrance supplémentaire. Pour ne pas souffrir davantage, une sorte d’anesthésie psychique s’opère, une partie du sujet se déresponsabilise de lui-même.

-une insensibilité grandissante, conduisant à un besoin d’augmenter les doses, ou le temps passé, pour tenter de ressentir le maximum de sensation et atteindre le plaisir recherché, qui s’émousse au fur et à mesure..

-les rechutes émaillent le parcours du sujet en cas d’arrêt de l’addiction, car le mécanisme est toujours prêt à repartir, rouage infatigable et insatiable, même après des années.

Tout le monde se reconnaîtra peut-être dans un de ces critères, ou plusieurs. Ce que tente de cerner la psychanalyse, est la source, la signification en terme d’économie psychique, du comportement addictif, quelles que soient son intensité, sa dangerosité.

Que signifie l’addiction ? de quoi est-elle la manifestation ? que dit-elle du sujet « addict » ?

Le rapport à l’oralité est prédominant : L’assimilation sans fin, sans faim, l’absorption, pour remplir (d’images, de son, de fumée, de liquide alcoolisé, de nourriture, d’objets ..). Le plaisir de l’assimilation est le plaisir de l’oralité. Il est à la base de tout mécanisme addictif. C’est une soif insatiable, une avidité. On s’  « adonne », on se donne corps et âme, on s’oublie.

C’est un besoin irrépressible, manifestement seul aux commandes aux moments où il se ressent. Il est physiquement éprouvé, il s’impose dans tout le corps. Seule sa satisfaction en vient à bout.

Alors, commence l’ »après » : quelle que soit l’addiction, sa force et sa gravité, cet après est toujours empreint de tristesse, de regrets, de culpabilité, de vague à l’âme. Le retour au réel est rude, parfois exprimé sous forme de résolutions pour en finir avec l’addiction. Une mésestime de soi s’ensuit. La vague euphorisante est retombée. Seule sa remontée fera oublier ce très mauvais moment.

L’autre grande composante du comportement addictif est la reproduction de cette assimilation : la répétition, le « en boucle ». L’addict se focalise sur son obsession, et tourne en rond dans ses automatismes. Il doit  recommencer, pour chercher à nouveau les sensations qui lui manquent à cet instant. Il est toujours dans l’instant suivant, projeté dans le moment où il pourra s’adonner à son addiction. Il vit le moment présent dans l’attente du moment suivant, dans la programmation, le calcul de la prochaine fois.

La gestion du temps : Il doit toujours gérer l’avant et l’après. Une fois le plaisir « achevé » (« tué ») , très rapidement intervient la pensée de la prochaine fois.

Le temps est poursuivi sans relâche. Le temps est harcelé par l’addict…

La gestion du plein et du vide. La sensation de vide est à fuir. Vite il faut remplir. Il faut créer quelque chose pour venir à bout du « rien » qui s’annonce. Le rien est impossible, est un gouffre dans lequel  on risque de sombrer.

La gestion du plaisir : un plaisir originaire s’instaure comme acte fondateur.

Une nostalgie de la première fois, de la découverte, est présente. Les actes ritualisés,  répétés, ont pour objectif de tenter de retrouver cette première, imaginairement rendue merveilleuse, sans tâche. L’addiction serait un effort constant pour retrouver un plaisir origine, un étalon de ce qui se fait de mieux. Une difficulté à renoncer à cette quête, à couper avec ce paradis perdu, à diversifier les sensations . Une volonté inconsciente de rétablir le sentiment de libération, de transgression de la première expérience.  Un besoin de reproduire l’initiation.

La composante  masochiste n’est pas loin. Le plaisir masochiste intervient comme force destructrice, comme déviation du désir primitif. Puisque je ne parviens pas à retrouver le paradis perdu, ce qu’il advient de moi n’a plus d’importance. La source de mon plaisir est une fontaine qui coule en permanence, je ne parviens pas à la contenir, je suis dévoré. C’est un sacrifice sur l’autel de quelle divinité ? (cf. les menaces de mort inscrites sur les paquets de cigarettes, qui instillent avec insistance leur condamnation dans l’inconscient des fumeurs…).

Mais le plaisir, au plus fort d’une addiction, se raréfie. Il se sclérose, il se concentre sur une seule source. Les autres s’amenuisent, deviennent fats. Le plaisir se ferme. Puis il se dissout carrément. Il n’existe plus. ce n’est plus lui le moteur. La capacité à jouir de la vie, à ressentir des sensations, des émotions s’inhibe.

L’addiction s’origine dans une pulsion contraignante et répétitive, une compulsion. Comme toute pulsion elle a une origine (la charge affective) et un but : l’objet (intérieur ou extérieur)à investir.

  • L’affect : une partie de la psyché de l’addict ne peut se résoudre à gérer la frustration engendrée par la fin de l’écoulement en lui du plein. Une charge émotionnelle est restée fixée, en un lieu inconscient, et demande sa satisfaction. Ne trouvant pas son objet, elle en investit un autre, l’objet de l’addiction. La réponse arrive, mais ne parvient pas à son but : au contraire, elle ne fait qu’entretenir le flux de la pulsion. La pulsion ne trouvera jamais sa satisfaction dans l’addiction, car, d’une part,  ce qu’elle recherche n’est pas là, et d’autre part, elle est chargée énergétiquement d’une puissance qui la rend insatiable. L’énergie psychique est concentrée, absorbée comme dans un trou noir.
  • L’objet :L’objet devient une obsession. Sa gestion, sa prise, les stratégies pour l’avoir prennent une grande place, deviennent des préoccupations. La vie s’organise autour de ce nœud central. L’objet source de convoitise occupe tout l’espace psychique. le sujet se fond avec l’objet, se confond avec lui. Il devient cet objet, avec lequel il ne sait plus opérer de distance.Cet objet devient la source obnubilée de plaisir. L’objet est investi de tous les possibles, de toutes les attentes , celles du comblement du vide, de l’angoisse, de la perte…

Rapport avec le corps :

Dans cette obsession, et ce rapport exacerbé avec l’objet, celui-ci finit par devenir un prétexte. Autrement dit, l’objet n’est plus. Il se confond avec le corps du sujet. Le psychisme, pris en tenailles, n’a plus de liberté de mouvement. Seul le corps fondu dans l’objet est maitre, et décide.

Et ce corps aliéné, confondu avec l’objet, n’est plus en interface avec le monde. Son sort, son malheur, son bonheur, dépendent de la proximité de l’objet.

La suppression de sa liberté est le prix à payer, le « sacrifice » du corps face à l’objet surinvesti.

En résumé : On voit d’une part les aspects régressif et répressif du mécanisme de  l’addiction, d’autre part le rattachement au narcissisme primaire. On observe l’aspect ritualisé de l’addiction, sorte de chemin initiatique  avec ses actes fondateurs, ses canaux de transmission.

On voit aussi que cet investissement unique dans un objet unique permet l’évitement de beaucoup d’autres investissements, et notamment celui de l’objet autre, extérieur. L’objet d’amour.

De grands dangers pour le Moi de l’addict sont ainsi sans doute évités : celui de ne pas être aimé en retour, celui d’être rejeté, celui de ressentir trop violemment le besoin de l’autre, de lui être assujetti etc….

L’addict idéalise son rapport au monde en niant la part d’ombre et de violence du réel.

Ne s’étant pas renforcé dans son rapport avec l’extérieur, le monde intérieur ne réussit pas à compenser les manques, les frustrations. Le sujet investit alors un objet extérieur de cette mission. Un objet aux contours bien cernés, si possible socialement valorisé.

Quelles sont les principales addictions ? des aspects anciens, et d’autres plus récents : tabac, alcool, (premières causes de mortalité !), drogues, jeux de hasard, nourriture (également cause de maladies graves).Internet et jeux vidéos au potentiel addictif puissant.

Sommes nous tous addicts à quelque chose ?  Du plus banal et inoffensif, au plus dangereux, le même terme  est employé.

De quoi parlons nous en clinique ?  Du comportement contraignant et impossible à maitriser, de la pulsion qui veut absolument se satisfaire, de la répétition, du sentiment de vide après, de la culpabilité de s’être adonné, donné, de la souillure, du sentiment d’être sale, ou faible, etc… du caractère obsessionnel du comportement addictif. C’est ce visage là de l’addiction auquel les thérapeutes sont confrontés.

Est-ce dangereux d’être addict ? oui, si l’addiction prend le pas sur la vie, sur les relations, si elle coupe le sujet du monde. Une addiction n’est pas à prendre à la légère.

Est-ce un mal d’aujourd’hui ?  La société déboussolée, hyper stressante, et adulant l’objet, incite à la fuite dans la consommation, à  la répétition, conduit à la régression vers l’oralité, le plaisir immédiat, l’évitement des frustrations. C’est peut-être le nouveau « malaise dans la civilisation », accroissant ces pathologies.

L’addiction est une maladie du rapport au désir. Dans la société, l’objet de désir est multiplié, accessible, sa possession est encouragée. Elle est même le seul but avoué de la vie, du travail. Le désir est sanctuarisé, porté au pinacle, rendu tout-puissant. La société est construite en majeure partie sur cette imposture. Car le désir porté aux nues, engendre la fin du désir. L’objet du désir rendu si accessible est voué à son auto-destruction.

Comme toujours, la pathologie est une réponse à un mal-être. Le désir est pour beaucoup dans une impasse. Mais la maladie permet la prise de conscience. Le désir est une force vitale, qui ne peut être  détruite.

De nombreuses initiatives se créent pour orienter les valeurs sociétales vers d’autres chemins.

Comment guérit-on d’une addiction ?

Si l’addiction s’installe, récidive, handicape quelques aspects de la vie, ou risque d’être dangereuse pour la santé, une thérapie s’impose.

Le travail uniquement sur le symptôme ne sera pas d’un effet durable. Attention aux pansements recouvrant, sans grattage de la blessure qui est en dessous.

Il s’agit de travailler sur les causes affectives et sur les fixations intervenues dans les investissements d’objets parentaux. Où se niche la cause de ce rapport à l’objet, à soi, de cette demande insatiable ? Où se trouve l’origine de  ce rapport tronqué au réel, de cette force du désir? comment trouver ses propres modes de satisfaction, libérés des tabous du ‘tout, tout de suite’?

Comment s’est construit ce désir : son économie, sa gestion, sa satisfaction, sa frustration?

A quoi sert le symptôme, que permet –il d’éviter ?

Qu’est ce que le sujet veut ne pas rencontrer de lui-même ?

Les questions sont nombreuses et les réponses, multiples, s’inscrivent au cœur de l’histoire singulière qui a mené le sujet là où il en est.

La souffrance au travail

La souffrance professionnelle est en augmentation en raison des conditions de travail qui se dégradent, et des profondes mutations du monde du travail qui sont en cours.

Apparue récemment et en grande recrudescence, le burn-out professionnel est une maladie due à l’accumulation de mal-être et de frustrations dans les situations professionnelles, aussi bien pour les salariés en entreprise, que pour les professions libérales.

La course à la reconnaissance et à la perfection, la compétition et l’individualisme à outrance, le manque de sens, la dévalorisation personnelle et l’interchangeabilité engendrent une immense solitude ressentie face à une souffrance incomprise, conduisant à cette « explosion brûlante », un état où il est impossible d’aller plus loin, où les ressources intérieures sont totalement asséchées. On ne peut plus rien faire. Il faut s’arrêter.

Le burn-out nécessite un soin adapté, une interruption de la course effrénée, une protection, un retrait. C’est une maladie grave.

Au quotidien, la souffrance au travail dicte ces moments de ras le bol, de rejet extrême. Tout le monde passe par là régulièrement. Et trouve ses solutions, ses stratégies pour éviter l’engrenage dont on ne peut plus sortir.

En effet, le stress au travail, normal, mobilise les capacités d’adaptation face aux situations, aux enjeux, et permet d’y faire face.

Et tout le monde est stressé. A tel point que si quelqu’un déclare ne pas être stressé, on le regarde avec suspicion : est-il sur une autre planète ? au-delà , déjà en burn-out, insensibilisé, anesthésié ? ou bien paresseux ?

Le temps : source de stress. Le temps est happé, mangé, il manque, il est trop petit, il n’y en a jamais assez pour le remplir, avec tout ce qui est à faire. Le temps court, file, va trop vite. Le temps pourtant, est, lui, toujours le même !Où courrons nous ainsi ? Le temps au travail est multiple. Le temps des contrats, des exercices comptables, le temps des dossiers, des procédures, le temps de la journée de travail, des congés, le temps des réunions, des pauses de midi… ces temps sont en conflit parfois avec les temps humains, psychiques, les temps d’assimilation, les temps de vie elle-même. Citons en exemple la si douloureuse impression qu’ont les femmes quand elles annoncent leur grossesse à leur patron ou supérieur et qu’il mesure aussitôt le temps à  prévoir pour leur congé de maternité. Manifestement, le temps de l’enfantement, donc de la vie, n’est pas toujours compatible avec les temps de l’entreprise…

Le stress est donc généralisé, banalisé.  Mais il n’en est pas moins dangereux. Et les seuils d’alerte ne doivent pas être négligés.

En effet, trop de stress, à haute dose, fréquent et sans possibilité de récupération, risque de conduire à un état de déséquilibre psychique. Les tentatives de sortie , de compensation parfois ne suffisent plus :

  • -« une semaine de vacances, et je reviens dans le même état, même pas reposé, sans avoir réussi à « décrocher » du boulot » entend-on parfois.

Ou bien la fatigue s’accroit, un week-end de détente où l’on passe son temps à dormir en vient à peine à bout , en raison d’une difficulté, voire une impossibilité à se détendre , à faire une pause, à penser à autre chose, à se relaxer physiquement.

Devant cette absence de détente, le moral est vite en berne, l’irritabilité extrême rend tout contact avec autrui difficile.

La porte s’ouvre sur les angoisses, les idées sombres concernant l’avenir, la vie. Difficile de voir la route et d’anticiper quand on a la tête dans le guidon en permanence ! Une impossibilité à se projeter, à prévoir, à envisager le futur.

Les activités qui d’ordinaire sont motivantes, investies, perdent de leur intérêt. Car seule compte la tentative de récupération de la fatigue Et la tête est prise par les tâches non terminées, les délais, les urgences…

En phase de stress aigu, les doutes s’installent : doutes sur ses propres capacités à y arriver, à gérer la somme de travail, à être à la hauteur des tâches à accomplir :

  • -« les autres y arrivent bien et pas moi »

S’ensuivent des sentiments de dévalorisation, d’échec, de non-réalisation personnelle, une difficulté à voir ses propres qualités, une estime de soi en déconfiture.

Une moindre résistance à tout évènement nouveau provoque crise, angoisse, perturbations, envie de fuir. Or, les changements dans la vie professionnelle sont fréquents, les adaptations sans cesse nécessaires. Mal préparés, mal expliqués, mal digérés, les changements augmentent la vulnérabilité de certains.

Si plusieurs de ces signes de mal-être coexistent et s’installent, il est absolument nécessaire de s’occuper de soi avant de s’engager sur la pente de la dépression durable ou de la psycho-pathologie.

Cette souffrance répétée créera un désinvestissement face au travail. Au lieu d’être un repère structurant et valorisant, le travail devient alors une source d’ennui et génèrera la désespérance.  Aller au travail perd tout son sens, en dehors de l’obligation de gagner sa vie.

On ne peut pas tenir le coup longtemps ainsi.

Chacun a besoin d’exister socialement et de se sentir utile.

La dépression qui suit cette souffrance doit être entendue comme un signal de changements, de nouveaux choix. Ne pas se laisser happer, résister à l’appel du vide, pour ensuite se remotiver, se mobiliser vers les modifications souhaitables.

Pour réfléchir à ce qui se passe, une mise au point est nécessaire. Que représente le travail pour vous ? quel est l’enjeu personnel au-delà des échéances actuelles ? quel est votre équilibre de vie ?

Quels sont vos rêves ? vos désirs ?

Quel est votre itinéraire ? d’où venez vous ? vers quoi allez vous ?

Et aussi, quels sont les conflits, extériorisés ou latents, auxquels vous êtes confrontés, à l’intérieur de l’entreprise ?

L’entreprise n’est pas seulement un lieu de productions de biens ou de services, à visée économique. Elle est bien plus que cela, et s’y retrouvent la somme des affects inhérents à tout groupe humain. Elle a une structure hiérarchisée, enjeu de pouvoir, de place. Elle est un lieu de projections de désirs, de fantasmes, de peurs. Elle est un lieu à haute teneur symbolique, elle canalise les imaginaires de chacun. Elle possède aussi sa composante inconsciente. Y circulent beaucoup de forces échappant totalement à la maitrise et au contrôle conscient des protagonistes.

L’entreprise, collective ou individuelle, est un lieu de reconnaissance sociale, de valorisation et d’intégration au groupe humain.

La souffrance au travail rejaillit sur les autres aspects de la personne, sa vie personnelle en est affectée.

Les profonds bouleversements économiques en cours déstabilisent les fondements anciens, auxquels on s’accroche cependant. C’est donc une période où chacun devra surmonter des difficultés sans négliger l’aide extérieure, et en relativisant le plus possible ce qui lui arrive.

Pour s’occuper de cette souffrance, différentes entrées sont nécessaires: l’apprentissage corporel de la détente profonde, et le travail psychique de reconstruction. Un ressourcement par ces deux approches pour ensuite reprendre son chemin, en contact avec son moi plus authentique.

Les racines psychologiques de la violence

Le public n’a pas toujours pris conscience du fait que ce qui arrive à l’enfant dans les premières années de sa vie peut avoir une incidence sur son comportement et son degré de violence, plus tard. Ainsi s’exprimait Alice Miller, psychanalyste ayant publié plusieurs ouvrages s’intéressant aux racines de la violence dans l’éducation de l’enfant.

Les réactions face à la terreur, sur les plans juridiques, politiques et sociétales, font état des moyens à mettre en œuvre pour éradiquer la violence, et supprimer la graine qui pousse, chez ceux qui s’y adonnent.

Ceci ne se fonde pas sur une connaissance intérieure, émotionnelle, que les professionnels de l’écoute développent dans le cadre de leur travail.

Une éducation ne peut être réellement bonne si elle ne s’appuie pas sur l’empathie et l’écoute de ce qu’est l’enfance, fondée sur une connexion à sa propre enfance.

Les parents, pédagogues et éducateurs n’ont généralement pas appris cela eux-mêmes, et transmettent en l’état les principes éducatifs qu’ils ont eux-mêmes connus.

D’où provient cette graine qui pousse est une chose, quelle est la nature du terreau dans lequel elle pousse en est une autre.

Cette connaissance du monde intérieur, du psychisme en formation, si elle n’est pas prise en compte, manque à tous les niveaux, et ne permet pas d’aborder les problèmes de façon complète. Il manque la connaissance du socle, de l’essentiel.

Tout se joue avant 3 ans, disait-on du temps de Dolto.

Alice Miller a longuement étudié les effets néfastes de la pédagogie, de l’éducation, quand elle nie le vivant en l’enfant, et quand elle humilie celui-ci.

Elle a ainsi étudié l’enfance de certains personnages, devenus tortionnaires, ou meurtriers, ainsi que celle de dictateurs : Enfances faites d’humiliations profondes et répétées, de brimades et maltraitances caractérisées, et/ ou d’indifférence totale à l’égard de sa réalité intérieure.

Comprendre ce qui se joue dans l’éducation et le rôle de tous les adultes face à la jeunesse est indispensable si l’on constate que des effets pervers et profondément dangereux sont issus de la manière de faire précédente.

La première raison qui engendre ces méfaits éducatifs est le fait que l’adulte a la plupart du temps refoulé la réalité vécue de son enfance, et même l’a transformée en une vision idyllique.

Or, pour peu qu’on veuille bien se pencher avec un peu de sincérité sur son propre parcours, on s’aperçoit que l’enfance est un lieu de souffrance et de maturation. On ne peut prendre pour réalité intangible, ni dénier toute valeur, aux propos d’un enfant. Mais il est à considérer comme un être en construction, en maturation, en train d’acquérir les connaissances sur le monde et les autres, qui lui permettront plus tard d’avoir un comportement, et un avis. Il est en train de devenir un adulte responsable de sa vie.

Pour ce faire, il a besoin de certains ingrédients essentiels, qui font défaut hélas, dans bien des cas.

Ces ingrédients sont à réunir dans un ensemble cohérent qui s’intitule : le respect de sa nature d’enfant. Encadrer un enfant n’est pas l’obliger à penser de telle ou telle façon. L’encadrer c’est déjà l’assurer dans le fait qu’il grandit dans un entourage fiable, à l’écoute, et non esclave. Un entourage composé d’adultes  qui entourent, précisément, qui protègent et considèrent l’enfant comme un sujet en devenir. Non comme un objet passif et vide. Ou comme un individu déjà mâture.

Toute éducation devrait être une interaction : on devrait apprendre à penser, au lieu d’apprendre à avoir telle ou telle opinion ou idéologie. On apprend des valeurs, si ces valeurs sont véhiculées par l’entourage. Si l’entourage ment, et que les mots entendus sont : « Il ne faut pas mentir », rien ne sera possible, aucune confiance ne présidera aux relations. Le discours paradoxal entraine une perversion du comportement : l’enfant fera semblant, pour ne pas déplaire. Il ne sera pas sincère. Ni vrai.

On devrait aussi apprendre aux enfants l’empathie et le bien-fondé des émotions.

Malheureusement, et c’est une énorme lacune, ce qui est émotionnel est banni, fait peur, est refoulé par la plupart des adultes, éducateurs, pédagogues et parents compris. L’émotion est vécue par beaucoup comme ennemie de la « raison » qui devrait nous éclairer.

C’est oublier un peu vite que nous sommes constitués d’émotions, en tant qu’êtres vivants. L’émotion est inhérente à notre construction, et la sensibilité extrême de l’enfant l’amène à absorber, avec une grande intensité, les sentiments et les affects dont il est l’objet. Il perçoit de plus les émanations inconscientes, les contradictions de l’adulte, si celui-ci a un discours et un comportement opposés.

Le respect de sa nature d’enfant implique donc le respect fondamental de sa sensibilité d’enfant. Or, la sensibilité de l’enfant fait peur : L’adulte n’a la plupart du temps pas d’autre défense que de faire taire cette sensibilité, tout comme il a appris à refouler, lui-même, toute ses émotions dans sa propre enfance. Il a peur souvent de ce regard d’enfant sur lui, de la vérité contenue dans ce regard. Il en a peur car il n’a pas fait le deuil de sa propre enfance, il n’en a pas compris l’enjeu. Il éduque comme il a été éduqué : par la répression des affects les plus puissants, des peurs, des désirs. Non par leur écoute, leur compréhension, leur canalisation, pour créer les conditions favorables à leur transformation en force positive et constructive.

L’éducation oublieuse des éléments essentiels propres à un développement harmonieux d’une personnalité d’enfant, est un danger. Elle aboutit, en cas de défaillances importantes, répétées et sans recours à un repère adulte fiable, et aimant,  à créer des personnalités adultes clivées, ignorantes de leurs émotions, privées de leur capacité à l’empathie, coupées de leurs corps.

Le comportement meurtrier est le fait de tels automates, fonctionnant avec une idée obsessionnelle, quelles que soient les couvertures et oripeaux dont ils habillent cette  idée. L’éducation reçue, allant à l’encontre des besoins fondamentaux, a créé un adulte privé de toute liberté de pensée et de réflexion.

Il est nécessaire de savoir que les besoins fondamentaux de l’enfant ne sont pas les mêmes que ceux de l’adulte. Modeler un enfant à son image n’est pas le respecter.

L’adulte ne peut apprendre à un enfant à être unifié, libre et responsable, face à lui-même et face aux autres, que s’il apprend lui-même à l’être.

Pour être un pédagogue ou un éducateur ou un parent, il faudrait pouvoir se relier à sa propre enfance, à ses ressentis, pour être en empathie maximale avec ceux de l’enfant. Et avoir fait le deuil des insatisfactions et frustrations de l’enfant qu’on a été, pour ne pas faire de l’enfant à éduquer cet objet destiné à satisfaire l’adulte : que ce soit satisfaire ses besoins de gratification, de revanche ou de domination sur un plus faible.

Quels sont les besoins que peut avoir l’adulte, qui agit pour lui-même et non pour l’intérêt de l’enfant, répertoriés par Alice Miller :

Le besoin de reporter sur un autre les humiliations qu’on a soi-même subies

Le besoin de trouver un exutoire aux affects refoulés

Le besoin de posséder un objet manipulable et disponible

Le besoin de préserver l’idéalisation de sa propre enfance et de ses parents

La peur de la liberté

La peur de la réémergence du refoulé, qu’on a réussi à combattre chez soi, et qu’il faut à nouveau combattre chez l’enfant.

La vengeance pour les souffrances endurées.

Ces besoins que l’enfant n’a pas à prendre en charge, se retrouvent à des degrés divers bien entendu. Il peut être nécessaire d’y réfléchir, même si l’on est sincère dans sa volonté de bien faire. Se cachent parfois des désirs plus refoulés, plus obscurs, plus inavouables.

La psychanalyse est là pour entendre ces pulsions difficiles à déceler par le conscient. La psychanalyse aide à dire ces pulsions, dans le cadre rassurant de la séance, et préserve ainsi du passage à l’acte. Le fait de se dire ainsi, place le sujet à distance de ses propres affects, et lui permet de les évacuer. Les besoins infantiles de revanche et de résolution des problèmes au travers de l’enfant perdent alors de leurs forces, d’eux-mêmes.

L’éducation peine à aider un enfant à accéder à sa liberté. Ce n’est d’ailleurs a priori même pas son but.

« Quand on éduque un enfant, on l’apprend à éduquer. Quand on fait la morale à un enfant, il apprend à faire la morale ; quand on le met en garde, il apprend à mettre en garde ; quand on le gronde, il apprend à gronder, quand on se moque de lui, il apprend à se moquer, quand on l’humilie, il apprend à humilier, quand on tue son intériorité, il apprend à tuer.

Il n’a alors plus qu’à choisir qui tuer : lui-même, les autres ou les deux. »

Alice Miller, C’est pour ton bien ; Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant. Aubier 1984.

 

L’Inconscient

Comment parvenir à la connaissance de l’Inconscient?

Nous n’y avons accès que par le Conscient, après qu’il ait transformé, traduit l’Inconscient. Ceci se travaille en analyse, mais, pour l’analysant, non sans avoir surmonté des résistances, autrement dit les forces poussant à garder refoulées les motions inconscientes pour les empêcher d’accéder au Conscient. La partie inconsciente du psychisme se décrit selon trois points de vue :

– le point de vue dynamique : le psychisme comprend tout ce qui a été formé par l’ Inconscient, dans le but de construire un compromis avec la réalité. Les vécus mémorisés et les pulsions du ça, forment un ensemble synthétisé, que l’on appelle « les formations de l’Inconscient », qui s’expriment à l’extérieur sous forme de symptômes, oublis et autres actes manqués, ainsi que toutes les pensées, associations, affects, dont l’élaboration échappe au conscient, se reflétant dans les comportements, habitudes, émotions, pensées.

– le point de vue topique : Il s’agit de systèmes de fonctionnement dont les forces opposées créent une tension permanente. Equilibre et déséquilibre se succèdent. Le refoulement est une sorte de censure qui sépare l’Inconscient du Conscient. De nombreuses représentations de l’enfance ont ainsi été refoulées, en raison des multiples contraintes imposées par le Moi et le Surmoi.

Cependant, les affects liés aux représentations inconscientes, quant à eux, cherchent à se libérer du joug du refoulement. « Le refoulement agit par le retrait d’investissement des représentations tandis que l’affect libéré se transforme en angoisse ». Le “retour du refoulé” prend différentes formes, par exemple substitutives, comme la phobie.

La cure par la parole, en psychanalyse, permet d’amener au conscient ces motions refoulées, sous forme de traces mnésiques, pour les intégrer aux autres contenus, ce qui revient à désactiver ainsi leurs charges négatives et les prive de leurs propensions à s’amalgamer coûte que coûte à des représentations actuelles. Tant que ces contenus inconscients investissent pulsionnellement les contenus actuels, il n’y a pas de possibilité de faire varier durablement et profondément les choses. Il existe plusieurs mémoires, et la psychanalyse œuvre à la mise au jour de ces traces mnésiques infantiles oubliées, déchargeant ainsi les pulsions fixées, et permettant la transformation des registres d’investissement du réel. Les mots ont une charge symbolique très forte, en rapport avec les nœuds inconscients, d’où l’efficacité des cures par la parole.

– le point de vue économique : « Il rend compte des investissements, des rapports de force et du travail de transformation. Le refoulement des représentations inconscientes est maintenu par les contre-investissements. Selon l’avantage pris par le pulsionnel ou par les défenses, on distingue les formations substitutives (la phobie), les formations de compromis (la conversion hystérique), et les formations réactionnelles dont, par exemple, les traits de caractère. »

Dans le noyau de l’inconscient, les “motions pulsionnelles » sont coordonnées les unes aux autres, existent sans être influencées les unes à côté des autres, ne se contredisent pas entre elles.