Les troubles psychiques: témoignages

Apprendre à connaître les troubles psychiques est nécessaire si l’on veut mieux comprendre ceux qui en souffrent autour de nous, et mieux appréhender le monde dans lequel nous vivons. En effet, nous sommes tous aux prises avec des symptômes et des excès, des tendances ou des peurs, issus des mêmes questionnements existentiels. Ceux qui traversent par moments les frontières de la santé mentale pour aller faire un tour de l’ « autre côté » nous en apprennent beaucoup sur nous-mêmes et sur les arcanes du monde psychique. Leur vécu, loin de nous effrayer, peut nous éclairer.

En effet, les pathologies psychiques sont des miroirs et reflètent les préoccupations et les contradictions auxquelles nous sommes tous confrontés. A certaines périodes de nos vies, nos propres capacités adaptatives déclinent, et nous devons rassembler nos forces de vie pour ne pas sombrer. Ou bien, nous fabriquons des mécanismes qui nous protègent, mais aussi nous font du mal, ou nous isolent. Nous avons tous nos bizarreries et nos « particularités ».

A cet égard, nous ne devrions jamais considérer l’autre en général,  et le souffrant psychique, en particulier, comme un être à part, différent.

Nous avons tous en nous des parts de ses souffrances, de ses outrances, de ses peurs, de ses provocations…il nous présente un aspect du réel qui nous interpelle : où est la limite entre le normal et le « pas-normal » ? Qu’a-t-il à nous dire, de cette façon si destructrice ?

Je pense qu’un bon moyen d’apprendre à connaître ce qu’est le chaos psychique est d’en lire des témoignages. Le témoignage est une formidable leçon de courage (oser s’exposer, dans sa partie la plus fragile, imaginez !) et de générosité : grâce à ces écrits, d’autres vont apprendre à mieux se soigner, et surtout à mieux s’aimer, à retrouver l’estime de soi, à avoir confiance en eux. « Je peux vivre, comme cette personne qui témoigne, avec cette maladie, sans me réduire à mon trouble ».

Ces parcours de vie montrent les souffrances et les luttes auxquelles les individus sont confrontés, et notamment la lutte contre soi-même qui s’avère épuisante, et surtout impossible, insupportable: l’ennemi est à l’intérieur !

On s’aperçoit alors qu’une existence ne se réduit pas du tout à la maladie. Dans une globalité, l’individu peut avoir à accepter sa souffrance et ses symptômes, qui font partie de lui, certes, mais au sein d’un ensemble plus vaste que cela.

Mais souffrances et luttes intérieures ne sont pas visibles à l’extérieur. Beaucoup se sentent très incompris, voire jugés. Ce qui est visible, ce sont les comportements apparemment insensés, la vision distordue de la réalité, et cela génère parfois de la peur, au minimum un malaise… Le rapport à l’autre est désordonné. L’instabilité, la dysharmonie qui règnent  à l’intérieur diffusent autour et provoquent des retours en décalage, des paroles blessantes, inutiles, en parfait inadéquation. La raison des autres, en effet, ne peur rien faire pour eux à ce moment-là.

Combien d’anorexiques ont entendu dire : « il suffit de la forcer à manger, et ça ira mieux ! » ou «  tu as encore maigri, on dirait une rescapée des camps ».

Combien de bi-polaires voient autour d’eux se forger un mur d’incompréhension, par un entourage dépité, qui ne sait plus à qui il a affaire ? A  la suite d’attitudes et de « crises » qu’ils ont parfois du mal à gérer « je ne le supporte pas quand il est ainsi, on dirait un enfant gâté »

Combien de schizophrènes, enfermés en eux, ne savent pas dire ni se dire, souffrent du mur qui les sépare des autres, et s’entendent traiter de « fou », voient la peur qu’ils inspirent à leurs plus proches, même à ceux qu’ils devraient rassurer ?

En effet, l’entourage est aux prises avec des comportements échappant à l’entendement, à la raison, des attitudes étranges. Il voit les excès, les enfoncements dans la non-vie, les dénis de la part de la personne touchée. Il voit la dissociation.

Le déni est un mal qui ronge en profondeur et de façon invisible. Le déni de tous : la personne touchée, qui peut mettre longtemps avant d’accepter de devoir vivre avec sa maladie, et l’entourage, affecté, qui ne veut pas non plus toujours accepter en totale conscience le « problème ».

A cela s’ajoute la culpabilité, bien sur : celle de pas être comme les autres, celle de se détruire, celle d’être un poids pour l’entourage, de lui faire subir ses contre-coups, ses extravagances ou ses repliements, ses silences ou ses colères, et de le mettre en échec : l’entourage se sent impuissant à aider, quelle que soit sa bonne volonté.

C’est une fois ce déni dépassé, que l’acceptation pleine et entière de la maladie, permettra de mieux la gérer, une fois la conscience augmentée. La maladie aura alors moins de prise.

Ceci ne se réalise qu’au bout d’un long travail sur soi, de recherche des ressources en soi, et de prises de conscience. L’écriture fait partie parfois de ce travail.

J’ai choisi de vous parler de trois de ces témoignages.

Anorexie-Schizophrénie, Trouble bi-polaire-: trois exemples de mal-à-être, de perte temporaire de la notion de réalité, de phase de démissions, de lutte pour faire entendre quelque chose…

Le démon intérieur de Sabrina Palombo fut l’anorexie, dont elle a été sauvée de justesse : A 17 ans démarre un régime qui l’amènera à un poids de 27 kgs, et à un internement psychiatrique pendant un an. Son livre témoigne de la force incroyable qu’elle a dû aller chercher pour s’en sortir.

Sabrina : « Je me suis ouvert la tête contre les murs de ma prison. Les médecins ont proposé à mon père de monter dans ma chambre alors qu’il ne m’avait pas vue depuis des mois. C’était peut-être ma dernière nuit ici-bas selon eux. »

Le corps torturé de l’anorexique fait peur, et son désir de pureté, d’absolu se déclare dans cette négation du charnel en elle.

Douloureusement, la renaissance a lieu, longuement, pas à pas. La maladie se transforme en une quête spirituelle

Sabrina : « Tandis que certains marquent leur rejet du passage au monde adulte en adoptant des comportements de révolte plus ou moins évidents, j’ai opté pour la nourriture comme moyen d’expression et d’opposition. Au-delà de cette crise d’adolescence, il y avait un véritable besoin de transcendance. Peu de gens mettent des mots sur cette quête spirituelle. La spiritualité est, sinon rejetée, au moins taboue. La jeune anorexique peine encore plus à saisir le sens du mal qui la ronge ».

Le combat de Sabrina, depuis, ne cesse plus. Elle a fondé une association, pour faire connaître la maladie, et aider les anorexiques à sortir de l’isolement. Pour agir, mettre des mots, transcender.

Gérard Garouste combat en lui les crises de délire, furieuses, éprouvantes, qui l’amènent immanquablement à l’Hôpital psychiatrique : camisole chimique, cocktail neuroleptique, seule façon de calmer la crise de psychose.

Gérard : « La sortie n’est pas une libération, c’est une punition. La réalité vous rattrape comme une brûlante coulée d’angoisse, et l’on se découvre faible et lâche. On s’effondre. »

Il raconte son enfance dupée, trahie, le secret de famille, la honte silencieuse, souterraine, alimentant la rancœur et la violence du paternel.

Il raconte une dépression qui a duré dix années. Puis sa conscience et son combat pour maintenir un équilibre, forcément fragile, qui le préserve de la rechute.

« Gérard : « je dois fuir la passion puisqu’elle m’égare, mais je ne peux pas. Mes intuitions se changent vite en obsessions, qui nourrissent ma peinture et ma folie. Il y a des frontières communes, que je passe et repasse. J’y laisse parfois un peu de ma vieille peau. »

Gérard est un peintre internationalement reconnu. « Je suis peintre parce que mes mains ont fait ma force, parce que des toiles puissantes et belles m’ont convaincu qu’il y avait là une voie pour moi. »

 Hélène Pérignon, éditrice, a un trouble bi-polaire, passant par des phases longues de dépression, puis des crises maniaques agitées, désordonnées, dévastatrices. Cela lui  a été particulièrement difficile d’accepter sa maladie, car elle-même avait souffert dans son enfance de la bipolarité de sa mère, gravement atteinte par la maladie,  régulièrement internée, et qui, après son retour d’hôpital, restait encore dans un état d’hébétude de longs jours. « Elle vivait à son rythme, dans son petit monde, sans vraiment se soucier de son rôle de maman. »

Il lui faut du temps pour accepter le diagnostic. Puis pour accepter de se faire soigner lorsque la crise est là.

Hélène : « Je m’acharnais à me persuader que tout était normal, et que j’allais bien. Toutefois, je me sentais de plus en plus déstabilisée, les doutes s’amplifiaient, accompagnés d’angoisse et confortés par le discours de mes proches. Période horrible. On se sent vaciller, sombrer. On sait déjà pertinemment que la crise est là, de nouveau, mais on ne peut s’y résoudre. On lutte. Tiraillements féroces entre une partie de soi, exaltée, qui déborde d’énergie, et n’accepte aucune limite et l’autre, en alerte, qui perçoit le danger et la nécessité de mettre un frein à tout ce désordre »

Hélène a finalement appris à vivre de façon très  consciente son trouble bipolaire, de sorte qu’elle en soit le moins affectée possible dans sa vie, tout en intégrant les risques et les réalités de sa maladie et en restant particulièrement vigilante sur son équilibre de vie.

En conclusion, Hélène dit : « je suis bipolaire, mais je me place résolument du côté de la vie .J’ai apprivoisé mon trouble et j’ai appris, avec le temps, à gommer les parenthèses. »

 Bibliographie :

– Sur l’anorexie: Sabrina Palumbo : L’âme en éveil, le corps en sursis. Editions Quintessence.  SabrinaTCA92: se relier aux fragilités pour se relier à l’univers

– Sur la schizophrénie: Gérard Garouste: L’intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou. Editions L’iconoclaste.

– Sur le trouble bi-polaire: Hélène Pérignon : je suis bipolaire mais le bonheur ne me fait pas peur ; Editions Hugo Doc