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Note de lecture: disparaître de soi

David le Breton Disparaître de soi, une tentation contemporaine. Editions Métaillié,2015.

Les difficiles identités contemporaines et les lourdes responsabilités qui en résultent, conduisent à la tentation de s’échapper, la nécessité de fuir pour se soulager du fardeau de l’existence, ou pour exister autrement.

Les exigences de vie de l’individu moderne soumis aux  obligations de rapidité, de performance, d’efficacité, contraint à une multiplicité de liens immédiats, virtuels et sans fin, créent un stress permanent de haut niveau. Les échanges et les activités humaines se fluidifient, gagnent en vitesse et en superficialité.

Dans ce cadre d’immanence, de profusion, de séquençage, l’individu psychique ne peut plus se ressourcer à son rythme fondamental : dans sa  lenteur, son besoin d’approfondissement, de sens, de vide aussi, dans l’étalement d’un temps sans horaire, ni tâches à accomplir.

Privé de son cadre existentiel et de sa nourriture, le psychisme est en danger.

Ainsi, pour parvenir à gérer ce qui lui incombe, l’individu contemporain crée un nouveau rapport au monde.

Chapitre par chapitre, l’auteur parcourt les différentes façons dont un sujet parvient à se défaire de soi, temporairement, pour une plus ou moins courte durée, ou définitivement.

David Le Breton parle de « la blancheur », sorte de volonté d’impuissance,  un état d’indifférence au monde et à soi, une passion de l’absence, une soif de pénurie et de dépouillement,  dans un monde de profusion d’objets, de liens, de maitrise.  Comme un contre-courant pour ne plus se perdre. Se retrouver en n’étant plus ‘rien’, selon les valeurs de ce monde.

Une vie impersonnelle : Se vider des particularités d’une vie singulière et pleine, pour exister a minima, est un chemin pris par certains, pour ne plus porter le fardeau du temps et des obligations.

Discrétion, solitude, effacement, toutes les nuances sont possibles.

‘Le poids de l’individualisation, la nécessité de toujours fournir l’effort d’être soi de produire les apparences d’une présence au sien de la sociabilité sont toujours menacés par la dépression mais également par une forme plus discrète celle de l’impersonnalisation qui consiste à ne plus se prêter à la comédie de la disponibilité aux autres en occupant un angle mort au sein de la sociabilité. L’individu est détaché, indifférent, mais il est toujours là sans se sentir tenu de participer. ‘

A l’image des héros de Beckett par exemple.

L’indifférence affective est une autre façon de vivre de façon détachée, sans implication, tout en continuant à agir dans le monde, comme un automate. Une sorte de neutralisation des affects et des liens, un renoncement à soi, « je est ailleurs et cela m’indiffère »

Se multiplier pour n’être personne, autre exemple de dépersonnalisation ; celui  par exemple de l’auteur Fernando Pessoa, qui a écrit sous de multiples identités, chacune ayant son style et ses thèmes. Dans ce cas, Je est multiple et il n’existe pas un Je unifié et unificateur.

Or, dans notre société, on est sommé d’être un, unique, et se démultiplier n’est pas bien considéré !

Cette non-implication se retrouve aussi dans certains états psychiques un peu latents, où les capacités à agir sont inhibées, avec des difficultés voire des impossibilités à faire des choix.

Il existe aussi une manière quotidienne de disparaître : le sommeil, une façon pour chacun de quitter le monde afin  de s’accorder ce temps de « blancheur » nécessaire.

Certains jeux répétitifs ont la même fonction.

De même l’état de fatigue qui entraine une mise en retrait du monde actif, pour un temps parfois conséquent.

Le burn-out : la vie, colonisée par l’urgence sans fin, ne peut plus se nicher dans l’activité humaine, qui devient insensée. L’individu est coupé de lui-même, absent. La seule sauvegarde pour l’humain est de casser ce rythme, s’extraire.

La dépression est de même le levier en cas d’impossibilités à continuer à assurer la responsabilité d’être soi, souvent après un choc important. L’individu se vide de sa substance, se sent perdu, n’a plus envie d’exister dans le monde.

Ces conséquences gravissimes de l’effondrement, de la perte de capacité à supporter l’existence sont en fait des mises en retrait nécessaires, pour reprendre sa route. Ce sont des respirations, que l’on n’a pas pu s’octroyer  autrement.

Ce retrait dans la dépression doit être compris comme une nécessité, un besoin de se retrouver, de reprendre pied, sens. Le besoin psychique de s’éloigner du monde, de ‘faire le mort’  pour revenir ensuite à la vie, ne peut pas être ignoré.

Il est un besoin fondamental.

Beaucoup d’autres ‘solutions » peuvent être mises en œuvre pour satisfaire au besoin de disparaître de soi. La tentation existe en particulier dans les périodes de transition, fortement chargées en changements  et en troubles d’identité, comme  l’adolescence (conduites diverses à risque) ou la période de ‘retrait de la vie professionnelle’ (Alzheimer).

Disparaître de soi est un besoin fondamental, qui peut être satisfait dans des conduites non heureuses, mais qui peut être aussi source de joie et de sérénité.

En effet, il s’agit de trouver un équilibre entre une implication dans le monde et des moments, heures, jours, semaines, de retrait, de solitude ou de voyage, afin de se retrouver soi, débarrassé pour un temps des liens sociaux et du paraître.

il est nécessaire de s’accorder ces respirations, ces replis sur soi, pour contacter sa liberté d’être fondamentale.
Cet ouvrage passionnant parle de nos vécus en profondeur. Il est une description du mal-être de notre société, diffus, silencieux et touchant chacun d’entre nous.

Cette envie de disparaître, de se mettre en retrait de ce ‘soi’ si compliqué à faire exister, fait partie de nous sans qu’on se soit rendu compte de sa diffusion à grande échelle.

De nombreuses maladies actuelles et  de comportements disent ce désir de fuir, de ne plus être là !

Il est urgent de prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène dans notre société très contraignante. Après la prise de conscience, il est nécessaire de créer et favoriser dans sa vie les activités méditatives permettant de fuir, de sortir de soi, de quitter pour un temps cet univers connecté dans lequel nous perdons notre âme: marche, jardinage, pratique psychocorporelle, etc… de façon à ne pas atteindre le point de non retour, avec une maladie ou une dépression.

Lecture nécessaire et salutaire, selon moi, pour réfléchir sur notre condition humaine et ce qu’elle est en train de devenir, afin de trouver les ressources pour ne pas nous laisser absorber et diluer dans un magma de connectivité et de stress.

L’auteur :

David Le Breton est sociologue. Il enseigne à l’université de Strasbourg

Ses objets de recherche, que l’on retrouve dans ses autres ouvrages  : la marche, le silence, les blessures de l’âme, le corps, la douleur etc…

Interview de l’auteur à propos du livre disparaître de soi. https://www.letemps.ch/societe/2016/07/12/besoin-disparaitre-soi

 

La souffrance au travail

La souffrance professionnelle est en augmentation en raison des conditions de travail qui se dégradent, et des profondes mutations du monde du travail qui sont en cours.

Apparue récemment et en grande recrudescence, le burn-out professionnel est une maladie due à l’accumulation de mal-être et de frustrations dans les situations professionnelles, aussi bien pour les salariés en entreprise, que pour les professions libérales.

La course à la reconnaissance et à la perfection, la compétition et l’individualisme à outrance, le manque de sens, la dévalorisation personnelle et l’interchangeabilité engendrent une immense solitude ressentie face à une souffrance incomprise, conduisant à cette « explosion brûlante », un état où il est impossible d’aller plus loin, où les ressources intérieures sont totalement asséchées. On ne peut plus rien faire. Il faut s’arrêter.

Le burn-out nécessite un soin adapté, une interruption de la course effrénée, une protection, un retrait. C’est une maladie grave.

Au quotidien, la souffrance au travail dicte ces moments de ras le bol, de rejet extrême. Tout le monde passe par là régulièrement. Et trouve ses solutions, ses stratégies pour éviter l’engrenage dont on ne peut plus sortir.

En effet, le stress au travail, normal, mobilise les capacités d’adaptation face aux situations, aux enjeux, et permet d’y faire face.

Et tout le monde est stressé. A tel point que si quelqu’un déclare ne pas être stressé, on le regarde avec suspicion : est-il sur une autre planète ? au-delà , déjà en burn-out, insensibilisé, anesthésié ? ou bien paresseux ?

Le temps : source de stress. Le temps est happé, mangé, il manque, il est trop petit, il n’y en a jamais assez pour le remplir, avec tout ce qui est à faire. Le temps court, file, va trop vite. Le temps pourtant, est, lui, toujours le même !Où courrons nous ainsi ? Le temps au travail est multiple. Le temps des contrats, des exercices comptables, le temps des dossiers, des procédures, le temps de la journée de travail, des congés, le temps des réunions, des pauses de midi… ces temps sont en conflit parfois avec les temps humains, psychiques, les temps d’assimilation, les temps de vie elle-même. Citons en exemple la si douloureuse impression qu’ont les femmes quand elles annoncent leur grossesse à leur patron ou supérieur et qu’il mesure aussitôt le temps à  prévoir pour leur congé de maternité. Manifestement, le temps de l’enfantement, donc de la vie, n’est pas toujours compatible avec les temps de l’entreprise…

Le stress est donc généralisé, banalisé.  Mais il n’en est pas moins dangereux. Et les seuils d’alerte ne doivent pas être négligés.

En effet, trop de stress, à haute dose, fréquent et sans possibilité de récupération, risque de conduire à un état de déséquilibre psychique. Les tentatives de sortie , de compensation parfois ne suffisent plus :

  • -« une semaine de vacances, et je reviens dans le même état, même pas reposé, sans avoir réussi à « décrocher » du boulot » entend-on parfois.

Ou bien la fatigue s’accroit, un week-end de détente où l’on passe son temps à dormir en vient à peine à bout , en raison d’une difficulté, voire une impossibilité à se détendre , à faire une pause, à penser à autre chose, à se relaxer physiquement.

Devant cette absence de détente, le moral est vite en berne, l’irritabilité extrême rend tout contact avec autrui difficile.

La porte s’ouvre sur les angoisses, les idées sombres concernant l’avenir, la vie. Difficile de voir la route et d’anticiper quand on a la tête dans le guidon en permanence ! Une impossibilité à se projeter, à prévoir, à envisager le futur.

Les activités qui d’ordinaire sont motivantes, investies, perdent de leur intérêt. Car seule compte la tentative de récupération de la fatigue Et la tête est prise par les tâches non terminées, les délais, les urgences…

En phase de stress aigu, les doutes s’installent : doutes sur ses propres capacités à y arriver, à gérer la somme de travail, à être à la hauteur des tâches à accomplir :

  • -« les autres y arrivent bien et pas moi »

S’ensuivent des sentiments de dévalorisation, d’échec, de non-réalisation personnelle, une difficulté à voir ses propres qualités, une estime de soi en déconfiture.

Une moindre résistance à tout évènement nouveau provoque crise, angoisse, perturbations, envie de fuir. Or, les changements dans la vie professionnelle sont fréquents, les adaptations sans cesse nécessaires. Mal préparés, mal expliqués, mal digérés, les changements augmentent la vulnérabilité de certains.

Si plusieurs de ces signes de mal-être coexistent et s’installent, il est absolument nécessaire de s’occuper de soi avant de s’engager sur la pente de la dépression durable ou de la psycho-pathologie.

Cette souffrance répétée créera un désinvestissement face au travail. Au lieu d’être un repère structurant et valorisant, le travail devient alors une source d’ennui et génèrera la désespérance.  Aller au travail perd tout son sens, en dehors de l’obligation de gagner sa vie.

On ne peut pas tenir le coup longtemps ainsi.

Chacun a besoin d’exister socialement et de se sentir utile.

La dépression qui suit cette souffrance doit être entendue comme un signal de changements, de nouveaux choix. Ne pas se laisser happer, résister à l’appel du vide, pour ensuite se remotiver, se mobiliser vers les modifications souhaitables.

Pour réfléchir à ce qui se passe, une mise au point est nécessaire. Que représente le travail pour vous ? quel est l’enjeu personnel au-delà des échéances actuelles ? quel est votre équilibre de vie ?

Quels sont vos rêves ? vos désirs ?

Quel est votre itinéraire ? d’où venez vous ? vers quoi allez vous ?

Et aussi, quels sont les conflits, extériorisés ou latents, auxquels vous êtes confrontés, à l’intérieur de l’entreprise ?

L’entreprise n’est pas seulement un lieu de productions de biens ou de services, à visée économique. Elle est bien plus que cela, et s’y retrouvent la somme des affects inhérents à tout groupe humain. Elle a une structure hiérarchisée, enjeu de pouvoir, de place. Elle est un lieu de projections de désirs, de fantasmes, de peurs. Elle est un lieu à haute teneur symbolique, elle canalise les imaginaires de chacun. Elle possède aussi sa composante inconsciente. Y circulent beaucoup de forces échappant totalement à la maitrise et au contrôle conscient des protagonistes.

L’entreprise, collective ou individuelle, est un lieu de reconnaissance sociale, de valorisation et d’intégration au groupe humain.

La souffrance au travail rejaillit sur les autres aspects de la personne, sa vie personnelle en est affectée.

Les profonds bouleversements économiques en cours déstabilisent les fondements anciens, auxquels on s’accroche cependant. C’est donc une période où chacun devra surmonter des difficultés sans négliger l’aide extérieure, et en relativisant le plus possible ce qui lui arrive.

Pour s’occuper de cette souffrance, différentes entrées sont nécessaires: l’apprentissage corporel de la détente profonde, et le travail psychique de reconstruction. Un ressourcement par ces deux approches pour ensuite reprendre son chemin, en contact avec son moi plus authentique.